Frank Drake vient d’hériter d’une belle somme d’argent à la mort de son père, et du château transylvanien de son ancêtre le comte Dracula. Accompagné de son amie Jeanie et de son copain Clifton Graves, ex de cette dernière, ce trio a décidé d’aller procéder à un repérage dans cet endroit semble t-il oublié, dans le but de le transformer en musée. Bien que refroidit un tant soit peu par la crainte des habitants du village voisin, ceux-ci accèdent à propriété et commencent la visite. Surpris par un plancher pourri, Clifton est cependant englouti dans une cave et tombe nez à nez avec une tombe. L’ouvrant, il réalise qu’il s’agit de celle de l’ancêtre, duquel il décoche le pieu fiché dans le squelette, ce qui a pour effet de réveiller le vampire, endormi depuis trois ans. Clifton deviendra le serviteur de Dracula, tandis que l’ensemble des protagonistes vont se déplacer sur Londres, ramenant avec eux la malédiction ancestrale. Ce sont dans les ruelles et les landes de l’île d’Albion que la peste vampirique va se répandre, tandis que Rachel Van Helsing, petite fille du fameux pourfendeur de vampires, aidée par le géant indien Taj et Frank Drake, vont s’enquérir d’autres acolytes afin de stopper le projet morbide du seigneur de la nuit. Les rejoindront Quincy Harker, le scientifique paraplégique spécialiste de la traque de vampires, ainsi que Blade, le chasseur black indépendant. Les allez-retours entre l’Angleterre et la Transylvanie alterneront, et Jack, le Loup Garou, entrera aussi en scène, avec son amie, tout comme d’autres protagonistes secondaires. Le vampire mourra, et renaitra encore, souvent par la bêtise et la cupidité des hommes...
Pouvoir lire ou relire cette bande dessinée, 46 ans après sa première parution, est assez incroyable, tant il était devenu difficile de pouvoir se lancer dans une lecture en continue de ces aventures, réparties sur plus de 25 petits formats pockets français originaux noir et blanc, (Dracula), parus de 1974 à 1979, sans compter les 11 albums grand format, en couleur (Dracula le vampire) parus de 1980 à 1983, et d’autres dispersés. La bonne tenue de ce premier volume Omnibus de 786 pages, regroupant les 31 premiers épisodes américains (sur 70), plus Werewolf by Night #15 (1972), Giant Size Chillers #1 (1974), et Giant Size Dracula #2 à 4 (1974) donne l’occasion de se régaler de pages grand format en couleur, avec les couvertures originales, plus des bonus de crayonnés, encrages sans bulles et divers dessins couleurs d’éditions américaines, et de savourer à l’avance la suite et la fin de cette saga exceptionnelle, puisqu’il est prévu qu’un tome deux comprenant les épisodes jamais parus en France complètera ce tome. Alors, l’aura mythique qui l’entoure est-elle justifiée ?
C‘était un temps où l’on usait de beaucoup d’adjectifs, de formules descriptives et d’un ton bien spécial, fait de phrases longues et d’accents littéraires aujourd’hui disparu dans la bande dessinée. Un temps où l’on succombait autant à ces formules quasi magiques qu’au dessin majestueux d’artistes hyper doués, amenés à devenir culte. Un temps où les auteurs se lançaient en équipe sur des récits en série pouvant durer des années, publiés dans des comics en kiosque que les enfants s‘arrachaient. Des enfants ? pas vraiment, car ce temps des années soixante-dix avait vu enfin se déchirer la fameuse et terrible contrainte du comics code, interdisant la violence et le sang dans la bande dessinée durant plus de quinze ans, et l’horreur, reprenant ses droits, avait permis à des lecteurs de comics déjà adultes de se délecter de ces histoires. Chez Marvel, Stan Lee se dit que la période serait parfaite pour remettre au goût du jour un récit classique issu des grandes heures du fantastique : Dracula. Aussi fit-il appel à des artistes non pas de premier plan, ni de ceux dont les noms étaient les plus adaptés au challenge, mais à des créateurs de talent qui verraient cependant leur nom gravé à jamais sur cette œuvre amenée à connaitre un succès quasi immédiat : Gene Colan au dessin, Gerry Conway, puis Archie Goodwin, Chris Claremont, et enfin Marv Volfman au scénario, et les encreurs Vince Colletta, Ernie Chan, Jack Able, Frank Chiaramonte et enfin Tom Palmer.
Marv Wolfman et Gene Colan, artistes principaux de cette aventure, font partie de ces duos qui ont marqué l’industrie, et surtout celle des années soixante-dix. Ce style de narration, encrée dans une époque, a gardé tout son charme, et s’adapte encore davantage à cette figure mythique du vampire transylvanien. Pour toutes celles et ceux qui ont un attachement particulier avec cette créature, créée par Bram Stoker en 1897, il est important de signaler que si le scénariste a choisi de situer son action dans les années 70 certes, il a gardé un caractère très nuisible à celle-ci. Le comte Dracula est tenace, assoiffé, à la fois de sang et de vengeance, à l’encontre de ses ennemis, autant déterminés d’ailleurs à détruire cette engeance diabolique. Cela provoque une suite de poursuites et de traquenards incessants au long des chapitres, qui aurai pu fatiguer à force. C’était sans compter sur les bonnes idées de notre scénariste, qui, alternant pouvoirs du vampire : faculté à se transformer en chauve-souris (bons moments assez monstrueux doit-on le préciser) ou en vapeur… n’hésite cependant pas à le rendre vulnérable, à l’occasion d’un empoisonnement lui permettant de gouter à une transfusion le laissant exsangue. Son réveil dans une église sera cocasse. D’autres passages mettant en scène un monstre gentil rappelleront un peu une autre créature créée à l’époque par Len Wein : le Man Thing.
La modernité avec laquelle Marv Wolfman dépeint ses héros, jeunes et engagés dans une lutte pour l’extinction du mal, apporte de son côté la touche adulte et politique à ce comics, dans un contexte, où les Etats-unis rappelons-le, étaient à l’époque engagés dans une guerre avec le nord Vietnam particulièrement sanguinaire, aux ordres d’un président empêtré dans des scandales décisifs pour sa carrière. Que dire de Blade, le chasseur de vampire Black, faisant son apparition tonitruante dans le numéro 10, et qui, c’est évident, est en phase, par son caractère indépendant et rentre dedans avec les mouvements d’émancipations raciaux secouant le pays depuis le milieu des années soixante. Quant au dessin de Gene Colan, s’il est quelque peu « effacé » ou diminué, par les encrages successifs de ses collègues, c’est surtout la colorisation qui ne lui rend pas vraiment justice, bien que celle-ci ait été préférée, on l’imagine, pour des raisons exclusivement pratiques, l’édition Omnibus américaine étant déjà en couleur. Néanmoins, le dynamisme et l’inventivité des cadrages et traitement des personnages par le dessinateur, apporte effectivement le punch et la classe que l’on reconnait à la série.
…C’était un temps où le papier sentait bon l’imprimerie bon marché, et où le lecteur, baigné dans une prose presque lancinante et hypnotique, semblait lui aussi succomber au pouvoir du maitre des ténèbres. Le papier bon marché a laissé la place à un Omnibus imposant et à des pages glacées... nous n’attendons plus la suite des épisodes le mercredi dans nos kiosques préférés, mais la magie opère toujours, prête à nous happer. Ne résistons pas à la magie de Tomb of Dracula !
FG
© Toutes images : Marvel/GeneColan, Marv Wolfman/ Panini comics 2020.
The Tomb of Dracula : La Nuit du vampire, par Marv Wolfman, Gene Colan…
Éditions Panini comics (70€) - ISBN : 978-2-8094-9152-4