Paul Éluard Harcourt 1945
" Grand air.La rive les mains tremblantes
Descendait sous la pluie
Un escalier de brumes
Tu sortais toute nue
Faux marbre palpitant
Teint de bon matin
Trésor gardé par des bêtes immenses
Qui gardaient elles du soleil sous leurs ailes
Pour toi
Des bêtes que nous connaissions sans les voir
Par-delà les murs de nos nuits
Par-delà l'horizon de nos baisers
Le rire contagieux des hyènes
Pouvait bien ronger les vieux os
Des êtres qui vivent un par un
Nous jouions au soleil à la pluie à la mer
À n'avoir qu'un regard qu'un ciel et qu'une mer
Les nôtres.
L'entente.Au centre de la ville la tête prise dans le vide d'une place
Ne sachant pas ce qui t'arrête ô toi plus forte qu'une statue
Tu donnes à la solitude un premier gage
Mais c'est pour mieux le renier...
Mains qui s'étreignent ne pèsent rien
Entre les yeux qui se regardent la lumière déborde
L'écho le plus lointain rebondit entre nous
Tranquille sève nue
Nous passons à travers nos semblables
sans nous perdre
Sur cette place absurde tu n'es pas plus seule
Qu'une feuille dans un arbre qu'un oiseau dans les airs
Qu'un trésor délivré.
Ou bien rire ensemble dans les rues
Chaque pas plus léger plus rapide
Nous sommes deux à ne plus compter sur la sagesse
Avoue le ciel n'est pas sérieux
Ce matin n'est qu'un jeu sur ta bouche de joie
Le soleil se prend dans sa toile
Nous conduisons l'eau pure et toute perfection
Vers l'été diluvien
Sur une mer qui a la forme et la couleur de ton corps
Ravie de ses tempêtes qui lui font robe neuve
Capricieuse et chaude
Changeante comme moi
O mes raisons le loir en a plus de dormir
Que moi d'en découvrir de valable à la vie
À moins d'aimer
En passe de devenir caresses
Tes rires et tes gestes règlent mon allure
Poliraient les pavés
Et je ris avec toi et je te crois toute seule
Tour le temps d'une rue qui n'en finit pas."
Paul Éluard : extrait du recueil " Les yeux fertiles ", Gallimard, 1951 Paru dans " La vie immédiate, suivi de La Rose publique et de Les Yeux fertiles. Poésie/Gallimard, 2014