L'erreur de l'histoire c'est de sortir les faits de leur contexte. Bach, Mozart, Beethoven, par exemple, sont indissociables de leur temps. Je me suis demandé ce qu'il en était de M. Giscard d'Estaing. J'ai repris mes souvenirs lointains.
Il me semble qu'il a d'abord représenté, avec Jacques Chirac, le renouveau. Ils étaient jeunes. Ils s'opposaient aux vieilles barbes du gaullisme, que la mort du général avaient révélées. En cela, il ne faisait peut-être que prolonger le parricide entamé par le président Pompidou.
Ce qui marquait ce temps, et que l'on a totalement oublié, c'était une bataille idéologique. La gauche était à la fois un communisme puissant, avec la connotation URSS et Goulag que cela impliquait, et un parti socialiste révolutionnaire. De l'autre côté, il y avait les valeurs de la classe moyenne. Progrès et bon sens. "Le changement dans la continuité", comme le disait M.Giscard d'Estaing.
Au début, il fut l'homme des réformes. Réformes que personne ne demandait, dont personne ne prévoyait les conséquences, et qui paraissaient abstraites. Mais, tout est permis en période de prospérité. Puis, il y a eu la crise, que l'on a aussi oubliée aujourd'hui. La France était aux prises avec l'inflation. Pendant des décennies, cela a été le grand mal mondial. Le chômage, qui était inconnu !, n'a pu être maitrisé. M. Barre, nouveau premier ministre, présenté comme le "meilleur économiste de France", a décrété "la rigueur". On nous a dit que "nous n'avions pas de pétrole mais des idées", notamment celle d'imposer une heure d'été et une heure d'hiver. Dans cette grisaille, M.Giscard d'Estaing a changé d'aspect. Il n'était plus du tout libéral. Les enfants racontaient des histoires dans lesquelles "l'homme le plus intelligent du monde" prenait un sac à dos pour un parachute. Le canard enchainé le décrivait comme un "viandard" (il adorait chasser en Afrique et y abattait beaucoup d'animaux), et parlait des "diamants de Bocasa". Des électeurs viscéralement anti-gauche ont changé de camp. Le mouvement a été emmené par M.Chirac, qui, a toujours eu beaucoup de flair. Mais aussi par M.Marchais, qui n'a pas répondu, comme certains l'auraient espéré, aux provocations qu'on lui lançait.
M.Giscard d'Estaing était-il incompétent, ou a-t-il été victime de la crise ? Comme il l'avait dit, l'avenir était aux jeunes et aux femmes. Il a aussi été le précurseur du libéralisme. Seulement, il ne suffit pas de vouloir être Kennedy pour le devenir. Il n'a pas compris, peut-être, quel était son électorat. C'était une classe modeste, de "self made men", aux valeurs fortes. Comme M.Pompidou, qui aimait le bling bling, comme "l'élite" moderne, il a dû la trouver ennuyeuse. Comme M.Trump l'a fait avec Mme Clinton, la gauche, moins idéologique qu'on ne le disait, a mieux saisi les aspirations de cet électorat que lui. Le gouvernement qu'elle a installé était en grande partie à image de ce dernier : composé d'autodidactes.
Ensuite, elle a tenté de faire ce qu'elle disait. Une relance keynésienne a enfoncé le pays dans les dettes. Il ne s'en est pas relevé. A la fin des années 80, on a cru au miracle. Des entreprises que l'on pensait condamnées, comme Renault, se sont redressées, grâce à une innovation organisationnelle à la façon de Michel Crozier. Paradoxalement, la France n'a jamais été aussi forte qu'en période de cohabitation. Coeur à gauche, portefeuille à droite ? Et surtout anti dirigisme ?
Mais, la chute de l'URSS a réveillé les USA, que l'on raillait. Car on les croyait finis, ridiculisés par les Japonais et la nouvelle Europe. L'Amérique a décidé de convertir l'humanité à la vraie foi. Ce qu'elle nommait "la nouvelle économie". D'où la vague libérale que nous connaissons depuis. Elle vise à faire du monde une "société d'individus". Et elle produit des bulles spéculatives et des crises de plus en plus violentes.
Aujourd'hui, la croisade est finie. Les Anglo-saxons se replient sur leurs îles. Une nouvelle ère commence ?