Il y a quelques semaines, en rapprochant les prévisions de l’OCDE en termes de croissance et l’indice de liberté économique (Index of economic freedom) publié chaque année par Heritage Foundation, nous affirmions que les pays qui subiront le moins fortement la crise en 2020 sont ceux qui présentent les indices de liberté économique les plus élevés (voir L’interventionnisme économique ne favorise pas la croissance du 22 septembre 2020).
Christian Bjørnskov, professeur d’économie à l’université d’Aarhus au Danemark, confirme nos propos dans une étude[1] qu’il vient de réaliser pour notre confrère Timbro, un think tank suédois.
Sommaire
- L’État à l’origine de la crise
- La liberté économique limite les crises
L’État à l’origine de la crise
Bjørnskov rappelle d’abord que, si les gouvernements, dans la plupart des pays, ont augmenté les dépenses publiques pour soutenir les entreprises à l’occasion de la pandémie de Covid-19 et de ses suites, il ne faut pas perdre de vue qu’ils sont aussi à l’origine des entraves à la liberté de commercer que nous connaissons encore actuellement.
La plupart des politiciens et de nombreux économistes plaident pour un renforcement accru du rôle de l’État dans l’économie pour dépasser la crise. D’autres économistes et des politiciens peu nombreux, tel Stephen Harper, ancien premier ministre canadien, soutiennent que la puissance publique devrait jouer un rôle beaucoup plus restreint dans l’économie afin de ne pas faire obstacle à la création de nouvelles entreprises et au dynamisme économique.
Le débat est bien entre une grande liberté économique ou une liberté économique restreinte par les interventions étatiques. Pour les keynésiens, certaines crises peuvent être dues à des défaillances du marché et les interventions politiques et le contrôle de l’économie permettent d’y faire face. De l’autre côté, les économistes libéraux (par exemple Buchanan et Tullock) affirment que les gouvernements ne disposent pas des informations nécessaires pour agir car de nombreux intérêts particuliers leur fournissent des informations biaisées dans le but d’obtenir des réglementations à leur avantage immédiat. Ces réglementations réduisent les investissements et faussent l’allocation des ressources, et donc peuvent conduire à des crises plus profondes et à une reprise plus lente.
Autre effet pervers : des groupes d’intérêts – composés d’entreprises, mais aussi de syndicats, par exemple s’opposant aux licenciements – se forment pour empêcher des réformes qui les pénaliseraient. Mais l’absence de réformes, ou des réformes incomplètes, contribue à maintenir en vie des entreprises qui deviennent de plus en plus fragiles et de moins en moins rentables. Celles-ci, en cas de crise, disparaissent et rendent la crise beaucoup plus profonde encore.
Enfin la réglementation et le manque de liberté économique ne favorisent pas l’activité entrepreneuriale. Or les entrepreneurs sont essentiels après une crise car ce sont eux qui créent des emplois et permettent de réduire le chômage. Un tissu entrepreneurial insuffisant peut prolonger et accentuer la crise.
La liberté économique limite les crises
Mais Bjørnskov, préfère s’en remettre à ce qu’il appelle « la petite littérature empirique » plutôt qu’aux théories économiques. Cette littérature montre que « la liberté économique est systématiquement associée de manière négative au risque de crise ainsi qu’à sa gravité ».
Christian Bjørnskov (2016) a comparé 212 crises entre 1993 et 2008 et a constaté que les sociétés économiquement moins libres connaissent généralement des crises économiques plus profondes avec des reprises plus lentes. Ses travaux rejoignent ceux de Baier (2012) qui a observé que des niveaux plus élevés de liberté économique rendent les crises bancaires générales moins probables, et l’étude de Shehzad et Haan (2009) qui a montré comment une liberté économique accrue sur les marchés financiers est associée à un risque réduit de crise systémique.
L’étude réalisée pour Timbro actualise les travaux précédents de Bjørnskov en s’appuyant sur 389 crises survenues entre 1993 et 2017, et confirme que « la liberté économique a des effets négatifs à la fois sur le risque de crise et la profondeur de la crise ».
Précisons que Bjørnskov définit la crise comme « un événement où la croissance annuelle tombe en dessous de -0,2 % ». Indiquons également qu’il se concentre sur quatre aspects de la crise : le risque d’entrer en crise ; le nombre d’années pendant lesquelles le PIB réel par habitant diminue ; la profondeur de la crise (écart entre le pic et le creux du PIB par habitant) ; et le temps de reprise (nombre d’années nécessaire pour retrouver le PIB d’avant-crise). Ces données sont ensuite comparées à l’indice de liberté économique développé par Heritage Foundation.
Le professeur Bjørnskov, après avoir examiné l’ensemble des données recueillies (2 653 observations par pays et par année pour 389 crises distinctes), en conclut que les pays situés en dessous du niveau médian de liberté économique ont connu en moyenne une année supplémentaire de croissance négative au cours de la période 1993-2017 par rapport à ceux situés au-dessus de la médiane de liberté économique. De même, pendant les crises, le premier groupe a connu une baisse moyenne des revenus réels de 8,3 %, alors que la perte de revenus dans les pays plus libres s’élevait en moyenne à 5,4 %.
Le graphique ci-dessous résume les travaux de Bjørnskov. En moyenne, tous pays confondus, le risque de crise est de 15 %. Les pays ayant un niveau de liberté économique inférieur de dix points à la moyenne ont un risque de crise de 18,4 %, tandis que ceux ayant un niveau de liberté économique supérieur de dix points à la moyenne sont confrontés à un risque moyen de 12,7 %.
Estimation du risque de crise et de la profondeur de la crise par degré de liberté économique
Lorsque la crise survient, la perte moyenne de revenus est de 10 % du PIB. Les pays ayant un niveau de liberté économique inférieur de dix points à la moyenne sont susceptibles de connaître une baisse de 12 %, tandis que ceux ayant un niveau de liberté économique supérieur de dix points à la moyenne connaît une baisse de 8 %.
Pour illustrer ses propos, Christian Bjørnskov prend l’exemple de l’Autriche, pays classé parmi les plus libres. Si l’Autriche descendait dans l’indice de liberté économique de Heritage Foundation pour rejoindre l’Argentine, classée parmi les moins libres, le risque qu’elle connaisse une crise augmenterait de près de 50 %. Et la survenue d’une crise entraînerait une chute du PIB autrichien par habitant de 2 000 dollars (alors qu’il est aujourd’hui d’environ 50 000 dollars). Réglementer conduit bien à davantage de crises qui, lorsqu’elles surviennent, sont plus graves et plus coûteuses.
La conclusion s’impose donc d’elle-même : les gouvernements devraient cesser de réglementer l’économie et arrêter de s’illusionner sur ce qu’eux et leur administration sont capables de faire.