Je me souviens d’une visite de Valéry Giscard d’Estaing à Oyonnax au début des années 80. Je débutais au Progrès.
Toute la rédaction de l’agence d’Oyonnax avait été mobilisée et chacun avait sa tâche. La mienne était de couvrir avec un collègue le dîner républicain qui avait lieu le soir de la visite présidentielle au hall des expositions (aujourd’hui Valexpo) et de rédiger des échos, c’est-à-dire des sortes de potins supposés divertissants mais surtout destinés à faire passer la pilule de ce genre d’actualité aussi digeste que le kloug de Monsieur Preskovic dans le film que vous savez.
Le dîner républicain regroupait des élus et des brochettes de notables auxquels un menu assez rustique était servi. Le repas était ponctué de leurs interventions et bien sûr de celles du principal invité dont il était de bon ton de boire les paroles entre la poire et le fromage, en l’occurrence une barre de comté qu’on lui laissait à peine le temps de mastiquer (c’est l’image qui m’est restée allez savoir pourquoi...).
J’avais un peu plus de vingt ans et pour moi qui ne votais même pas à cette époque, ce genre de soirée me faisait bâiller d’ennui, certes intérieurement mais énormément bâiller. Dans ces cas-là, muni de mon discret magnétophone Sony, je me mussais dans un coin et je laissais la machine écouter à ma place, un réflexe de survie intellectuelle dont je dus abuser quand je devins, au fil des années, coutumier de ces micro-sommeils aussi gênants pour moi que pour mes interlocuteurs lorsque je devais interviewer des personnalités politiques ou m’entretenir avec elles.
À l’agence le lendemain du dîner républicain, j’utilisai ce qui pouvait l’être des bandes enregistrées et l’idée me prit d’ajouter à mes échos un petit billet personnel que je jugeai conforme aux recommandations de mes chefs toujours soucieux de coller à la locale, comme ils disaient.
Je ne trouvai donc rien de mieux que d’écrire une vanne établissant un rapport fumeux entre l’activité locale de pose des similis, ces brillants de pacotille intégrés aux ornements de coiffure et autres articles de la production oyonnaxienne et la fameuse affaire des diamants de Bokassa.
Lorsque mon chef d’agence eut la bonne idée de lire ma copie, ses longs cheveux et sa barbe semblèrent traversés par un courant électrique dont l’intensité produisit un sonore Mais t’es fou !!!
Je ne dirais pas qu’il avait complètement tort mais en ces années 80, curieux mélange de grisaille et de paillettes, des fous, le métier en regorgeait, et il me fallut pas loin d’une décennie pour le quitter. Comme l’avait bien noté mon amie Marie-Ella Stellfeld en me tirant le portrait dans son roman Plastic instinct, j’allais encore promener mon look triste de jeune curé (l’uniforme du journaleux de ces années-là) dans bien des galères de la locale, cette province de papier où tout le monde est président de quelque chose.
Sur ce souvenir, bonne nuit, ou plutôt : « au revoir » .