A l'heure où la Coupe de France 2020-21 de football semble menacée en raison des contraintes imposées par la crise sanitaire, je me suis replongé dans les articles que j'ai eu le plaisir d'écrire sur cette compétition lors de mes 15 ans passés à L'Equipe. J'aurais pu vous republier des papiers consacrés au Stade de Reims (je n'en manque pas), mais je suis retombé sur un article que j'avais commis sur le club ardennais de Sedan lors de l'édition 1999. Cette année-là, les joueurs dirigés par Patrick Rémy, avaient atteint la finale au Stade de France (défaite face à Nantes 0-1). Tout au long de leur épopée que j'avais eu le plaisir de suivre avec notamment une demi-finale dingue contre Le Mans (4-3 a.p.) au vieux mais historique stade Emile-Albeau, les Sachy, Satorra, Faure, Laquait, Mionnet, Quint, Di Rocco ou encore N'Diefi avaient permis de remettre de la lumière sur le glorieux passé du club. Cette année-là, le club était remonté en D1 où il resta jusqu'en 2003 avec même une participation à la Coupe UEFA. Sedan reviendra en Ligue 1 pour une saison en 2006 (liquidation judiciaire en 2013, le club est remonté en National en 2015 avant de redescendre en National 2 où il évolue actuellement).
Comme l'histoire du sport est une de mes passions, je vous propose une petite réédition de cet article.
Sedan retrouve sa mémoire
Au centre du billard, au côté d'un cygne en cristal et d'un vieux disque de Maurice Chevalier, se dresse la réplique de la Coupe de France. Sur son socle, deux inscriptions : vainqueur de la Coupe de France 1956; vainqueur de la Coupe de France 1961. Deux témoignages d'une époque dorée pour tout un département, pour tout un peuple. Dans le salon de Maurice Laurant, c'est toute la mémoire du football sedanais qui rejaillit.
Maurice Laurant, frère de Lucien Laurant, président de l'Union Athlétique Sedan-Torcy (UAST) puis du club Sportif Sedan-Ardennes (CSSA) de 1946 à 1975, décédé en 1996. Durant près de trente ans, les deux frères, patrons des Draperies sedanaises, vont faire du petit club de promotion Marne-Ardennes un des clubs phares du football français. "On s'occupait de cyclisme et de gymnastique et on ne connaissait rien au foot, se souvient Maurice Laurant, aujourd'hui âgé de 74 ans. Comme pour notre affaire, on a pensé qu'il fallait un contremaitre. En foot, on appelle ça un entraîneur. Notre représentant dans le Nord nous a conseillés de prendre un certain Louis-Dugauguez, ancien joueur de Lens avant-guerre. On l'a nommé directeur commercial de nos usines... et entraîneur de l'équipe. On lui a fixé deux objectifs : battre un jour la grande équipe d'Arsenal et emmener le club à Colombes. On était encore en PH..."
La symbiose est immédiate. le tandem devenu trio gravit les échelons les uns après les autres. En Janvier 1950, les Sedanais créent la première sensation de leur histoire. Encore en Division d'HOnneur, ils éliminent en 32e de finale le grand Nice, alors leader de D1 (4-1). Sedan écrase tout sur son passage. En 1953, après un blâme de la Fédération pour amateurisme marron, Luis Dugauguez et les frères Laurant décident d'adopter le statut professionnel. Dugauguez, alors entraîneur de l'équipe de France amateurs, ramène dans es bagages les deux frères Oliver, Célestin et Christian. "Ce fut tout un périple raconte Célestin aujourd'hui retraité à Marseille. Je venais de Mostaganem au Maroc. En 1952, en revenant d'Helsinki, Louis Dugaugaugez m'a demandé de le rejoindre à Sedan où il souhaitait monter une équipe pro. J'ai dit OK mais si mon frère vient avec moi. Et voilà comment on s'est retrouvés tous les deux dans les Ardennes. Moi je ne connaissais pas Sedan. En novembre 53 on a failli repartir. Le froid, c'était terrible." Le froid certes, mais aussi des méthodes d'entraînement uniques en France.
Car si le club s'enorgueillit d'un statut pro, pas question de déroger aux habitudes prises depuis plusieurs saisons et qui ont fait le succès de l'UAST. Le football est un loisir, le travail reste la priorité. Car contrairement aux autres clubs hexagonaux, les joueurs ardennais ne se contentent pas de jouer au football. Tous ont un emploi. pour la plupart dans les usines des frères Laurant. Tous, Lucien et Maurice Laurant inclus, se retrouvent le matin au stade Emile-Albeau, à 6h30. Quelles que soient les conditions climatiques.
"Comme le manque de lumière ne permettait pas de jouer au ballon, l'essentiel de l'entraînement était basé sur le physique, se souvient Claude Brény, l'un des deux seuls Sedanais avec Max Fulgenzy à avoir remporté les deux éditions de la Coupe de France. Au niveau de cette préparation physique, nous avions vingt ans d'avance sur les autres clubs." "Je n'ai jamais vu un joueur avoir des crampes, poursuit Oliver. Le jeudi midi, l'équipe première affrontait la réserve. Et les onze qui restaient debout jouaient le dimanche..."
Dès sa première saison parmi l'élite, Louis Dugauguez atteint un de ses deux objectifs. Il remporte à Colombes, la Coupe de France aux dépens de Troyes (3-1). Les Marcassins sont devenus des Sangliers qui marquent leur territoire sur toutes les pelouses de France. Le pays entier se passionne pour la destinée peu ordinaire de cette équipe à l'esprit si original. Témoin de cet engouement, ce mot adressé au député des Ardennes par un certain Jean Cocteau en février 1956. "Cher ami, savez-vous a signification du mot amateur dans le Larousse ? Celui qui aime ce qu'il fait. Voilà pourquoi vos jeunes amateurs se couvrent de gloire et deviennent des professionnels. Je leur souhaite de toujours rester des amateurs en secret."
Cinq ans plus après leur première visite à Colombes, les Sedanais conquièrent à nouveau le précieux trophée aux dépens de Nîmes (3-1). Tout réussit alors aux Ardennais. "Lors de cette finale, témoigne Max Fulgenzy, Lemasson avait une entorse de la cheville. Dans le couloir, avant d'entrer sur la pelouse, les préposés à la civière ont brutalement cogné son pied et comme par miracle, la douleur avait disparu."
Si l'esprit reste le même, les frères Laurant et Louis Dugauguez sont pourtant contraints de s'adapter à l'évolution des mentalités. De 1961 à 1964, de véritables pros débarquent dans les Ardennes. Mais peu s'adaptent et, en 1965, l'équipe repart presque de zéro en s'appuyant sur les jeunes formés au club. Parmi eux, Roger Lemerre, Pierre Tordo le gardien, Yvan Roy, Yves Herblet... La plupart sont au club depuis plusieurs saisons, intégrés dans une structure proche des centres de formation actuels.
Derrière cette structure, les Laurant veillent toujours. "On savait tout ce qui se passait, se marre Maurice. Mustapha Dalheb séchait de temps en temps les cours. Aussitôt le directeur nous prévenait et on remettait les choses en place. Hatchi aimait les boites de nuit. Il avait beau partir à Charleville ou en Belgique, on était toujours mis au courant."
Cette équipe de jeunes Sangliers atteint une nouvelle fois la finale de la Coupe de France en 1965. Une décision douteuse de l'arbitre oblige Sedan à rejouer cette finale de 1965 face à Rennes. Les Bretons s'imposent (3-1). Une défaite qui marque le début du déclin ardennais. La vente des meilleurs éléments a beau rapporter de précieux millions, la crise économique touche de plein fouet les Ardennes. L'inflation des prix dans le monde du football associée au déclin des industries locales précipite le club sedanais vers les abysses. Division 2 puis Division 3 quelques années plus tard. Sedan est au plus mal. Louis Dugauguez, en 1974, puis les frères Laurant un an plus tard laissent leur place. la fin d'une époque.
"Les Ardennes ont été crucifiées par l'histoire, écrit Yanny Hureaux, historien et écrivain ardennais, auteur du Défi de Sedan. Les gens s'imaginent les Ardennes comme une lointaine Sibérie où les loups sont remplacés par les sangliers. En 1956, 1961 et 1965, Sedan a été notre fierté, notre revanche. Cette époque a ramené la dignité à tout un peuple. Elle était enracinée comme les arbres de notre forêt." Une forêt remplie de légendes immortelles. Après presque vingt ans d'austérité, celle des "ardents ardennais" est sur le point de renaitre au Stade de France. "L'équipe de 1999 est composée de gars comme nous dont personne ne voulait, conclut Yanny Hureaux. Ils nous offrent le bonheur, l'enthousiasme. Alors même s'ils ne viennent pas de la région, ils se sont "ardennisés" et désormais, ils sont des nôtres."