« 52 pages tentent d’articuler la perception immédiate d’une image avec celle d’une musique ». Cette phrase de la quatrième de couverture fait écho à la première de couverture sur laquelle figure en miniature les 52 pages du livre. 52 semaines pour faire une année. Tel un calendrier où l’on pourrait lire un poème par semaine pour faire l’année. En arithmétique, 52 est un nombre intouchable car c’est un entier naturel qui ne peut être exprimé comme la somme des diviseurs stricts d’un entier. Dans ses ouvrages, l’auteur ne cesse de témoigner de son attirance pour les mathématiques et joue avec les nombres : « La marque d’un chaos furieux habite 52 coups de talons qui interprètent un nombre de pages musicales. »
Il s’agit de « pages » littéraires mais aussi musicales. En effet, chaque poème et donc chaque page illustre un morceau de musique ou fait référence à un compositeur. « Le rythme d’une musique légère et populaire s’ajuste avec une œuvre savante et expérimentale » ; « un piano soutient l’architecture tortueuse d’un labyrinthe guidé par une progression d’accords dissonants Des phrases s’enroulent autour d’elles-mêmes pour se perdre dans l’étrange déambulation d’une introspection musicale ». La police et le corps des caractères accompagnent la progression musicale. Tel est le cas pour « Le Bolero de Ravel » dans lequel « une flûte et une caisse claire inaugurent un rythme innovateur qui se greffe sur l’équilibre d’une page limitée ». Ici, le corps du caractère augmente et donne chair à la musicalité du texte. La page 34 « Le Sacre du Printemps » s’accompagne d’un arc de cercle en bas de page : « le sacre du printemps exprime la nature cosmique d’une renaissance qui inaugure un renouvellement radical de la musique savante » ; « Des sons percussifs s’emparent de la révolte (…) un appel primitif de la terre concrétise un tohu bohu de rythmes tandis qu’une dynamique bestiale sonde un temps morcelé ». Ici, je n’ai pu m’empêcher de penser au Sacre du Printemps mis en scène par Pina Baush où la nature s’invite sur scène avec de la terre. Les corps luttent puis s’unissent et la tension devient palpable. Paul Valéry écrivait : « l’état de danse : une sorte d’ivresse, qui va de la lenteur au délire, d’une sorte d’abandon mystique à une sorte de fureur ».
Cette musicalité s’accompagne de formes géométriques plus ou moins variables. Dans « Saxophone », le poème alterne disques et cercles (voir fichier PDF joint) : « La vibration d’un saxophone ponctue une page grâce à l’action improbable de 20 trous ouverts ou fermés. » On trouve des spirales, des lignes brisées, en accordéon, des segments en noir et blanc, des losanges, des trapèzes (comme un rappel de la forme d’un piano), des carrés. Dans « Jerry Lee Lewis », le texte est pris dans une flamme, « une irruption explosive de Jerry Lee Lewis libère l’énergie punk d’une vision qui enflamme une écriture en poudre » ; « des doigts incontrôlables brûlent l’écriture à l’aide d’une excitation troublante. » Dans « Tabla » une empreinte digitale apparaît derrière le texte car « le doigt d’un joueur de tabla frappe l’identité d’une page qui reconnaît les lettres d’un clavier musical. » Chaque page dévoile ses propres graphismes qui permettent d’entrer dans l’univers sonore et poétique.
L’écriture de Philippe Jaffeux est à la frontière entre l’art et la littérature. Elvis Presley disait : « la musique Rock n’Roll, si vous l’aimez, si vous la sentez, vous ne pouvez vous empêcher de bouger ». Avec l’auteur, quelque que soit la musique ce sont les mots qui bougent, dansent.
Alexandre Ponsart
Philippe Jaffeux, Pages, Plaine page, 2020, 56 pages, 10 euros, par Alexandre Ponsart
Extrait SAXOPHONE à ouvrir d'un simple clic sur ce lien.