Cette polarité essentielle, un des grands ressorts de la publicité, est exploité en double page de deux manières radicalement différentes :
- soit en juxtaposition, dans deux images séparées ;
- soit en interaction, dans une image en format paysage ;
- soit dans un mode intermédiaire : la juxtaposition interactive.
Pour les pendants équivalents en peinture à la première formule, voir Pendants solo : masculin – féminin.
Pubs solo
Commençons par l’anti-modèle : les publicités double page mettant en scène un homme ou une femme en solo. Comme la solitude ne fait pas envie, elles sont rares.
L’homme seul
2004, Un petit pas pour l’homme, un bond pour sa femme, LG électroménager
La femme absente est évoquée par un objet difficile à remplir.
La femme seule
Coca cola Yes girl, 1946, illustration de Haddon Sundblom
Dans la pub, la fille seule ne le reste souvent pas longtemps.
En présence d’une automobile, elle n’est jamais vraiment seule : plutôt affublée d’un substitut géant.
1956, General Motors ouvre la voie
Dans cette image exceptionnelle, la marque se personnifie en une idole féminine que la carrosserie habille….
1954, De la tête aux pieds, General Motors
…ou déshabille.
1984, Carte American Express
American Express est l’unique marque qui ait promu la femme seule sans la transformer en déesse ou en dominatrice : ici elle arrive à l’hôtel avec deux bouteilles, mais pour plonger seule.
1986, Carte American Express
Indépendante, elle remplace l’homme encombrant par des minets mignons…
2005, Carte American Express
…et passe avantageusement le temps avec son chien.
La juxtaposition
Cette formule place les deux sexes côte à côte sans les laisser communiquer : renvoyant aux planches d’histoire naturelle, elle accompagne souvent un discours rationnel.
1958, Dépliant (extérieur / intérieur), Philippe Clay, 45 tours La gambille
1963, Format normal, format de fête, Whisky Calvert
Les deux types de bouteille sont explicitement destinés à la consommation en solo ou en groupe ; mais leur présentation côte à côte renvoie implicitement au dimorphisme sexuel, et suggère que la boisson convient aux femmes comme aux hommes.
1969, Publicité pour le sucre
Souvent prises comme exemple de discours para-scientifique, il n’est pas sûr que ces deux publicités aient été présentées en double page, côte à côte ou consécutives. Il est amusant que les deux accroches (un truc pour maigrir / un produit pour maigrir) et les deux activités (boire / manger), sensées adaptées à chaque sexe, recouvrent un message absolument identique : un peu de sucre fait moins manger.
1973, Eram, Chaussures Roll and Roll
Une explication de mode, selon les codes de l’histoire naturelle.
1980, Magasins Point Décor
Malgré le souci d’une stricte égalité visuelle, l’image n’inverse pas les conventions de genre, :
- aux filles le goût, les tissus et les ciseaux,
- aux garçons la technique, les laques et le pinceau.
1981, Un crocodil, une crocodelle, polos tennis Lacoste
L’image résolument paritaire met en valeur le dimorphisme humoristique du slogan : la marque promeut officiellement l’égalité des sexes , tout en s’adaptant discrètement à chacun : polo et robe, raquette métal et bois.
1984, Haute Couture Pierre Cardin
Un rêve de couturier qui reste sur le papier : dans le futur, hommes et femmes seront aussi coquets l’un que l’autre
1989, Cerruti 1881
Le slogan est en miroir, mais les poses restent parallèles : la pub dit à la fois que Cerruti s’adresse aux deux sexes et que ceux-ci sont égaux.
La même composition, mais complètement en miroir, induirait un message parasite : que les femmes imitent les hommes.
1989, Cerruti 1881
La même publicité existe en mode interactif : pour éviter tout soupçon de sexisme, la femme est mise doublement en position d’honneur : à gauche et devant.
1989, Pour Noël et pour Noëlle, Chemises et chemisiers Cacharel
Une autre manière d’échapper aux risques de la parité : se réfugier dans le jeu de mot et l’ellipse.
1995, Yves Saint Laurent, parfum Opium, Linda Evangelista et Rupert Everett, photographie Jean-Baptiste Mondino
Pour le lancement du parfum Opium Homme, les sexes sont présentés complémentaires, comme les couleurs rouge et violet. Les deux tops modèles s’exhibent à moitié (jambes ou torse), les deux fixent le spectateur, les deux s’assument comme objets de séduction. Cependant la différence de cadrage, en supprimant les parties basses de l’homme, tend à le placer du côté de celui qui regarde, ou qui rêve : c’est d’ailleurs ce que suggère le clip associé [1], où la femme tournoie sous le regard fixe de l’homme.
Le message explique en somme la création d’Opium homme : vous l’avez rêvé, Saint Laurent l’a fait.
1997, Yves Saint Laurent, parfum Opium,
La campagne de 1997 n’existe qu’en monopage : les deux parfums ne sont plus présentés comme dérivant l’un de l’autre, mais comme strictement symétriques.
2009, Chantal, 241 mois, Robert, 888 mois, Petit Bateau pour toujours
En imitant une présentation policière, l’image suggère une histoire trouble d’inceste ou de pédophilie. On est soulagé de comprendre qu’il ne s’agit que de fidélité à la même marque.
2010, Plus vous êtes propre, plus vous devenez sale, gel douche Axe
Cette campagne vicelarde (et qui a fait scandale) utilise un code visuel strictement paritaire pour montrer l’inverse : la femme comme phantasme sexuel de l’homme.
2013, En ligne et en magasin, Darty
L’image prend soin de nous montrer que les dos ne se touchent pas : celui qui achète en ligne et celle qui achète en magasin ne sont pas censés se rencontrer.
La juxtaposition interactive
Cette formule intermédiaire prétend être une juxtaposition, mais intéresse le regard par une interaction discrète.
1961, Formica
La première publicité est plutôt une juxtaposition, la seconde presque une seule image. Les deux servent le même message : en matière de mobilier de cuisine, la femme commande, l’homme passe commande.
1961, Madame, vous oubliez votre Flash, Plastiques Grosfillex
L’opposition noir et blanc / couleur suggère une juxtaposition que le geste dément aussitôt : les récipients en plastique rendent multicolore la vie de la ménagère.
Dans le premier cas, c’est l’appareil photo, dans le second cas l’amour romantique, qui cassent la juxtaposition et font interagir les deux images.
1987, Adidas, baskets MAGIC LINE
La position des baskets féminins fait deviner l’interaction.
1988, tricots Pile & Pull
Les six garçons assurent l’ambiance, les six filles l’intendance : la césure s’évaouit devant l’interaction imminente.
1990, Ils sont tous Morgan de moi, MORGAN
La photographie suggère la juxtaposition, le texte crée l’interaction.
2009, Chanel, lunettes de soleil
On pourrait croire à une situation classique de regard masculin. Mais en plaçant l’homme en retrait et en brouillé, l’image raconte l’inverse : il est celui auquel elle rêve derrière ses lunettes noires.
2010 Chanel, lunettes de soleil
Soit juxtaposition, soit interaction.
2011 Chanel, lunettes de soleil
Juxtaposition faussement suggérée.
2010, GUESS, avec Alyssa Miller, Elsa Hosk et Silviu Tolu, photographie Ellen von Unwerth
La campagne Guess 2010 repose sur un triangle amoureux, dans le style des années 60 [2].
Les deux double-page qui en ont résulté marquent le triomphe (attendu) de la blonde.
2011, Guess, Deux monopages suivies d’un double page, avec Amber Heard et Silviu Tolu
L’année suivante, l’aventure entre la blonde et le cowboy est décomposée en trois images consécutives.
L’interaction
Les exemples sont innombrables. On peut les classer selon les moments de l’amour :
- la marque de courtoisie ;
- du baiser à l’enlacement ;
- la vie en commun ;
- l’affrontement.
1 Marque de courtoisie
Le baise-main
L’offrande de fleurs
1981, Solilaine, une marque de tendresse, Lessive pour laine Solilaine
La promenade
L’offrande gourmande.
1959, Chocolat Rialta, de Menier
Le chocolat complice….
1985, Cadre noir : on obtient tout par la douceur, chocolat Cadre Noir
le chocolat dominateur…
1986. Cafe Nescafé
…le café obéissant.
L’offrande apéritive
Autres offrandes
Zippo
Depuis l’après-guerre, le briquet est promu comme cadeau unisexe.
1966, Silver Match, briquet ultra plat
Silver Match reprend ce code visuel symétrique mais, en précisant que son briquet est purement masculin, revient aux fondamentaux : la femme offre le briquet, mais c’est l’homme qui donne du feu.
A l’aimée on peut tout offrir : du ruban à la salle de bains…
1969, Louis Féraud
…ou la simple odeur de son doigt.
2 Du baiser à l’enlacement
Craignant le cliché comme la peste, la pub montre rarement le baiser classique….
1999 Air France
…ou celui qui vole.
Elle préfère l’anticiper…
…l’empêcher…
…l’interrompre…
Harriet Hubbard Ayer, 1972-73
…l’éluder de diverses manières…
1994, Decathlon, chaussures Lima
…ou carrément le détourner.
Certaines filles lui préfèrent la bouteille…
…ou sont attirées par autre chose.
Quant aux hommes, certains veulent plus, d’autres restent de glace.
3 La vie à deux
Le couple réduit aux acquêts
Bourse commune ou séparée
Sensations simultanées
Plaisirs partagés
1984, Matelas Dunlopillo
Même hobby
Mêmes affections
Même véhicule
1989, FRANCE TELECOM le minitel
Même destin
4 Le conflit
Divergence de goût
Faire la gueule
GUCCI lunettes solaires
L’issue du conflit
A une contre un, c’est elle qui domine.
2006, Dolce et Gabbana
A une contre plusieurs, c’est encore elle…
2006, Dolce et Gabbana
..sauf dans ce dernier cas : considérée par certains comme un appel au viol, la publicité a été retirée en Espagne en février 2007, puis censurée en Italie en mars et finalement retirée dans le monde entier. Les deux autres n’ont choqué personne.
5 Deux marques spécialistes
Terminons ce panorama forcément incomplet avec deux annonceurs français, qui ont fait des variations sur le couple une véritable marque de fabrique (je ne présente ici que les images double page).
Lingerie Aubade
1983
L’homme dominant…
1986
L’homme dominé…
1987
1988
1989
Le couple en équilibre.
Coiffure Jean-Louis David
Le but étant de montrer des coiffures pour dames, l’homme n’intervient que comme faire-valoir, de plus en plus marginalisé au fil des années.
Les danseurs
1988
Les amoureux
La fille entreprenante
1989
L’homme effacé
1989