La question à résoudre est de présenter deux variantes d’un produit sans réveiller la mécanique manichéenne inculquée à l’oeil à longueur de publicités.
Dans l’automobile
1916, Voitures Overland
Pour promouvoir deux modèles qui ne diffèrent visuellement que par les roues, l’illustrateur a inventé ce panoramique en deux vues, où les passagers du modèle supérieur 85-6 se retournent vers ceux du 85-4. L’image insiste néanmoins sur l’égalité des deux clientèles : dans chaque voiture il n’y a qu’un homme, et que c’est une femme qui conduit.
1938, Chrysler Royal, Chrysler Imperial
Plus tard, l’industrie automobile utilisera plutôt, pour promouvoir deux variantes proches sans en privilégier aucune, la composition en miroir.
1972, FIAT 127 et 128
Ici le slogan comme la photo insistent sur l’équivalence entre la classe Touriste et la Première classe.
1988, BMW série 7 et série 3
La pseudo-concurrence met en valeur la similarité des deux modèles.
2007, BMW série 1 3 et 5 portes
Toujours pour ne froisser personne, l’image suggère que le choix entre trois et cinq portes n’est qu’une question de goût, tout comme celui de la couleur.
Dans l’alimentaire
1950, GREEN GIANT SWEETEST GREEN, Life magazine
1977, L’initiation, la révélation, Les Armagnacs Marquis de Caussade
1986, Originale. Râblée. Quand nous faisons une sauce Prince pour les spaghettis, nous vous donnons le choix. Parce que personne n’a tout à fait le même goût, Sauce tomate Prince
2009, Big Mac, Big Mac au pain complet, McDonalds
Ailleurs
1974, Cumulus et Cuisinière Sauter
1984, Eponges Spontex (carré et égouttoir)
Application aux variantes humaines : les pubs Benetton
Les pubs d’Olivier Toscani pour Benetton ont exploité jusqu’à l’usure leur filon : plutôt que sur des produits, communiquer sur une valeur attrape-tout et irréfutable (l’éloge de la différence ET de l’égalité humaine).
Le problème se trouvait être le même que pour la publicité de variantes : comment désamorcer la lecture manichéenne.
La solution : par une sorte d’humour surréaliste et de surenchère attendue.
1985, United contrasts of Benetton
La campagne de 1985 déconcerte le regard en noyant sous des différences aveuglantes (la partie du corps, l’accessoire vestimentaire) la différence à découvrir péniblement, et de là à minimiser : celle de la couleur de peau.
1985 1987
Même technique pour lutter contre le nationalisme : la ressemblance évidente (même peau, même type de vêtement) et la différence principale (fille garçon) font passer pour enfantillage la différence des drapeaux.
1986, United Colors of Benetton
La formule en miroir au service de l’égalité des continents…
…ou des pays.
1988, United friends of Benetton
La recette des peaux blanche et noire est ici exploitée pour présenter l’eau de toilette Colors comme un cadeau fraternel, et les montres Bulova comme un bien commun de l’humanité.
1988, United friends of Benetton
Conscient qu’il ne faut pas trop tirer sur la ficelle, cette publicité cache sous le masque la différence désormais attendue. Cette publicité est apparemment la seule de la campagne « United friends »
Adam et Eve Jeanne d’Arc et Marylin Léonard et César
1988, United superstars of Benetton
La même année, la campagne « United superstars » oblique vers le loufoque, avec des couples insolites. C’est désormais le mélange des siècles qui devient le fond de commerce de la marque.
1989, United colors of Benetton
Les marqueurs graphiques martelés depuis plusieurs années servent aussi bien des appariements purement esthétiques que des images militantes.
1990, United colors of Benetton
Retour aux fondamentaux : l’égalité blanc-noir…
1990, United colors of Benetton
L’égalité des couleurs de peau et des sexes : ces mitrons hilares coopèrent pour une miche, ces dames sérieuses pour un mioche.
1991, United colors of Benetton
Les dernières publicités binaires de Benetton oscillent entre le gnan-gnan…
Ange et démon Curé et nonne
1991, United colors of Benetton
…et la provocation enfantine : il ne reste plus tant que cela de tabous à exploiter.
Les imitateurs de Benetton
1990, Brassons nos différences, Kronembourg
Il y avait déjà eu en France des publicités basées sur des différences d’âge ou de statut social (voir 2.1 Double-page binaire : les opposés). Mais personne avant Benetton n’avait éprouvé le besoin d’en faire une valeur à défendre. Kronembourg se rallie à la mode du temps au nom de ses compétences de brasseur, et fait trinquer joyeusement ses clichés sur la césure.
1991, Partout, tout de suite, Mondial Assistance
C’est en tant qu’« assisteur des JO » que Mondial Assistance se livre à des appariements planétaires vus à l’époque comme méritoires (une équipe télé frappée de paludisme, un technicien-météo) mais qui prennent aujourd’hui un tout autre sens : la personnification de la Guyane et du Sahara ignorés par la face grillagée de l’Occident.
L’inconvénient des pubs méli-mélo est que, comme les rosés aromatisés aux fruits, elles ne supportent pas le vieillissement.
[