Eric Maurel: Paroles de procureur

Publié le 29 novembre 2020 par Jpryf1

                                                  


Monsieur Eric Maurel vient de publier chez Gallimard dans la collection "Témoins" : « Paroles de procureurs » et je ne pouvais passer à côté de ce livre dans la mesure où j’avais connu le procureur Maurel lorsqu’il a pris ces fonctions à Pau en 2004. Je l’ai donc en réalité très peu connu car c’est l’année où je suis parti à la retraite. Je me méfiai un peu car j’avais lu dans le passé des ouvrages de magistrats sur leur métier et ils m’avaient tous un peu déçu. Ce n’est pas le cas de celui-ci et d’abord par son écriture qui est agréable, dense et donnant à l’expression une chaleur humaine loin des études universitaires.

Ce livre vient par ailleurs au bon moment, en un temps où la Justice est questionnée, quelques fois mise en question et, où, disons-le, elle est assez méconnue par les citoyens qui n’en connaissent pas l’organisation et le fonctionnement et sont assez porté à la critiquer quelques fois à juste titre, quelques fois par ignorance.

Dans les premières pages l’auteur veut mettre à néant la critique faîte quelques fois aux Juges et notamment aux jeunes juges sortis de l’école de la magistrature de n’avoir aucune expérience de la vie et d’être un peu trop corsetés par leurs certitudes. Et s’ouvrent alors des pages sur des affaires bouleversantes que le Procureur Éric Maurel a connues et qui ont été traitées avec humanité. En lisant ces pages cela m’a rappelé combien la Justice que j’ai connu était, en effet, le réceptacle de la misère humaine et il m’est assez souvent arrivé de plaider que la solution judiciaire était souvent « ajouter du malheur au malheur ». Cela dit si les magistrats peuvent avoir de l’empathie certains ont une philosophie qui les conduit à penser que les malheureux sont responsables de leur malheur ! J’en ai connu.

Des développements heureux sur le doute systématique, sur le sens de la peine.

Dans un premier temps je n’ai pas compris l’assez long développement d’affaires absolument horribles avec des scènes de crime épouvantables. Je n’en voyais pas l’utilité mais peut être était-ce pour amener le long développement sur les atteintes psychiatriques, de l’alcoolisme ou des drogues et la difficulté qu’il y a alors à juger en raison du langage et, disons-le, des lacunes de la science psychiatrique.

Ce livre très riche contient aussi une analyse de la peine et notamment de l’emprisonnement dont il reconnaît les lacunes. Je ne pense pas, pour ma part, que l’on a remédié à ce qu’une Commission Sénatoriale a appelé « une honte de la République » et je ne crois pas, contrairement a ce que pense M Maurel qu’il faille connaître ce monde fermé de la prison de l’intérieur pour pouvoir juger de ce qui s’y passe. Tous citoyens grâce aux informations qu’il recueille de diverses sources peut et doit pouvoir de faire son jugement.

Enfin ce livre nous donne une longue et précise histoire du Parquet à travers les âges et dans le monde et il défend l’idée que le Procureur ne serait pas un fonctionnaire mais un magistrat. L’argumentation est sérieuse mais elle ne m’a pas convaincu. Le fait que le Procureur ait un indiscutable pouvoir de décision a de très nombreux stades de la poursuite ne fait pas de lui, pour autant, un Juge. De nombreux hauts fonctionnaires prennent aussi de nombreuses décisions aux conséquences parfois très importantes. Et j’ai toujours été gêné par la promiscuité d’études et de carrière des membres du Parquet et des Magistrats du Siège. Je suis partisan d’une séparation drastique entre ceux qui poursuivent et ceux qui jugent. Certains pays l’ont déjà fait et les règles Européennes me semblent l’imposer. L’avenir dira ce qu’il en sera et ce sera toujours la décision démocratique du peuple.

Au total un livre très intéressant, qui se lit bien, qui contient une foule d’analyses intéressantes, de rappel historiques et qui devrait servir aux citoyens et plus encore aux élèves avocats et juges et je ne dis pas cela parce que l’auteur met, à plusieurs reprises, en évidence le rôle essentiel des avocatsde la défense.