La semaine dernière j'ai vu des images qui n'ont pas décollées de ma tête.
Je digérais mon souper sur le divan du salon dans un état semi-comateux. C'était les parfaites conditions mentales pour syntoniser TVA. Il y avait en ondes la version française de Ellen's Games of Games.
Une série de jeux ridicules joués par des fans de son émission, de simples citoyens des États-Unis, ou des acteurs, ce qui expliquerait peut-être certains comportements douteux qui seraient aussi scriptés pour le bon plaisir du bon peuple Étatsunien, et qui font gagner de gros sous au final. Quelque chose entre 10 000$ et 100 000$, je ne sais pas je ne portais pas beaucoup attention. J'étais flabbergasté par l'idiotie de certains jeux. Ramper à plat ventre tâtant le tapis ou se tortillant afin de prendre le plus d'espace pour faire émerger une sorte de banc du sol, les yeux masqués, et ensuite réussir à être le premier ou la première assis(e) dessus comme dans un jeu de chaise musicale était un de ses jeux. Une femme a gagné cette épreuve. C'était vraiment trop con, je suis parti faire autre chose.
Mais en repassant quelques minutes plus tard, la télé était encore ouverte, ne jouant pour personne. La même femme venait de gagner quelque chose de gros. Peut-être justement 10 000$. Je n'arrive pas à trouver les images sur le net. Mais elles sont gravées à jamais dans ma tête. Ça m'a hanté longtemps. Elle se tenait la bouche à deux mains de stupeur, ses yeux explosant de joie, n'arrivant pas à croire qu'elle avait gagné. Elle dandinait sur place, les genoux un peu par en dedans, comme quelqu'un qui aurait de la difficulté à contenir son envie d'uriner. On devinait qu'elle voulait dire OH MY GOD! 102 fois, mais gardait ses mains sur sa bouche comme si une langue de lézard menaçait d'en sortir. Puis, deux fois, elle a laissé une de ses mains sortir de devant sa bouche, et à 2 deux pieds, pas plus, de l'animatrice Ellen DeGeneress, elle l'a pointé. Comme une fan des Beatles dans les années 60.
Je n'arrivais pas à comprendre ce geste. Le pointage. Double. Puis, j'ai compris. Surexcitée, elle est tombée comme dans un blackout mental se demandant si elle ne rêvait pas. Puis, pendant une fraction de seconde, son cerveau lui a rappelé qu'Ellen était bien là, à deux pieds d'elle. C'était une reprise de contact avec une réalité qu'elle n'avait jamais quitté. Mais sa manière de bouger restait si grotesque que les images de cette femme, à ce moment précis, me sont restées collées en tête toute la semaine.
Ça m'a fait réfléchir aux Coréens du Nord. Nous trouvent-ils aussi ridicules à bouger comme ça que nous les trouvons ridicules à se donner en spectacle pour le bien du régime quand un leader, aussi ignoble soit-il, décède?
Puis le coeur surcocaïné de Diego Maradona a lâché à 60 ans. Je ne vous ai pas parlé de lui à la fois parce que je savais que le monde entier le ferait, mais surtout par mépris général pour le soccer. Vous le savez, je n'aime vraiment pas ce sport. Au masculin. De toute manière, il y en a des millions qui l'aiment mieux que je l'aimerais. Le soccer n'est pas en reste d'affection. Ce qui m'a toutefois intéressé c'est cette manière de souligner la mort de leur héros, en Argentine. Ils ont chanté toute la nuit. Pas des chansons tristes, des chansons festives. Puis, au matin, ils ont marché en silence dans les rues. Comme si ils avaient vidé leur propre réserve d'énergie et que leurs chants de la nuit avaient portés Diego au ciel, maintenant devenu jour. Des corps fourbus, fatigués, dans le respect du silence des disparus. Je trouvais que c'était une belle démonstration publique de leur amour pour leur dieu biscornu.
Ça m'a donnée envie d'Amérique latine, qui souffre autant que nous de vol d'identité par les Étatsuniens chaque fois que ceux-ci nous effacent en parlant de leur "America".
Puis, jeudi après-midi, j'ai appris que notre ami Goyette était plus ou moins confirmé sur la voie des condamnés. 15 à 20% de taux de guérison complète. Les larmes m'ont poussé dans les yeux pour le reste de la semaine. Alors que j'avais annoncé au travail que je resterais jusqu'à 15h30 (je termine généralement à 15H, au bureau) J'ai plutôt quitté à 15h15, ne voulant pas me donner en spectacle devant les autres. C'est toujours étrange les dynamiques de la démonstration publique. J'ai pleuré un peu partout, en secret, tout seul. J'ai caché mes larmes et ma colère.
Je ne suis pas de ceux qui favorisent l'importation de personnels dans un contexte de travail. Ni ailleurs que dans l'intimité.
Mais je me suis senti comme cette femme au Ellen's Games of Games, en blackout mental. J'ai l'impression d'être dans un rêve moi aussi. Un très mauvais rêve.
Moi.Alors imaginez lui, son amoureuse, ses enfants, ses soeurs, sa mère...
On est de tonnes à se monter une armée contre l'injustice de tout ça.
On est dans le sable. C'est décourageant le sable. Rien n'y pousse. Tout s'efface.
Mais il y a des horizons. Nous croyons aux horizons.