Illustration Marianne
Vous connaissez la phobie des araignées, de la foule et même la phobie administrative… ? Désormais il faudra compter avec la glottophobie qui a fait une victime de plus l’été dernier, quand Jean Castex a été nommé premier ministre.
Ca veut dire quoi ?
La glottophobie consiste à considérer les personnes ayant un accent autre que « bourgeois parisien », comme des citoyens « de statut inférieur ». Elle se manifeste par une attitude condescendante, de la moquerie ou des pratiques discriminatoires à leur égard (accès au logement, à l’emploi…plus difficile).
Quelle est l’origine du mot ?
Ce néologisme daterait de 2016, il a été inventé par le professeur de sociolinguistique Philippe Blanchet qui lui a dédié un livre[1]. Il est composé d’un mot d’origine grec glôtta qui signifie variation (proche de Glôssa qui signifie la langue) auquel il a ajouté le suffixe phobie, qui signifie frayeur en grec ancien. Ainsi, pour les glottophobes, l’accent ch’ti provoquerait de la frayeur !
Quels sont les fondements de cette pratique ?
La glottophobie, une histoire de goût ? En aucun cas,
Elle ne relève pas d’un problème d’oreille (non, certains accents ne sont pas plus harmonieux que d’autres) mais d’un enjeu de pouvoir.
La langue reflète les forces d’influence et de pouvoir. Pour réduire l’influence de l’église qui parlait « latin », François 1er a imposé le français dans les tribunaux.
De même pour réduire l’influence des territoires et instituer un état centralisé à Paris, Jules Ferry interdit d’enseigner à l’école une autre langue que le français. Et considérant que les accents régionaux représentaient une survivance de ces parlers locaux, il a incité les enseignants à humilier les écoliers ayant un accent non « standard ».
Puis les médias, la radio et la télévision ont perpétué ce processus d’effacement des langues régionales en apprenant aux étudiants à gommer leur accent.
La glottophobie est donc fondée sur une méfiance à l’égard des particularités culturelles savamment organisée par un état français centralisateur. Dans l’inconscient collectif, l’accent Ch’ti, ou catalan représenterait toujours une menace à un état français fort et unifié.
Qu’est-ce que cela raconte de notre société ?
Le fait de dénoncer la glottophobie en inventant un name of shame montre que l’opinion française a évolué. Les héritiers des Girondins, n’ont pas rendu les armes. Depuis 1960, ils se battent pour que les langues régionales aient plus de place à l’école.
Et maintenant ils défendent les accents régionaux.
Qu'esseuh-que ça veut direuh ?", embarrassé par une question, Jean-Luc Mélenchon a raillé l’accent du sud-ouest d'une journaliste en 2018, une réaction qui n’a pas plu à nombre de politiques.
Relayée par les médias, cette affaire a choqué une partie de l’opinion qui s’est identifiée à la journaliste. Il faut rappeler qu’1 français sur 2 estime parler avec un accent selon un sondage IFOP . [2]Et 1 sur 5 considère avoir été victimes de glottophobie.
Conformément au processus d’évolution des sensibilités, le choc émotionnel lié au commentaire de JL Mélanchon, a d’abord suscité de la moquerie : le projet de loi contre la glottophobie envisagé alors par une députée, L Avia, a été qualifié de blague par le JDD. Mais il a ouvert le débat.
2 ans plus tard (une éternité sur l’échelle de l’opinion), le député AGIR de l'Hérault, Christophe Euzet a présenté cette semaine un projet de loi qui sanctionne la glottophobie, et il a été entendu, désormais cette forme de discrimination est sanctionnée par la justice [3].
Le rejet de cette pratique s’inscrit dans un mouvement profond qui traverse notre société, celui de l’inclusion. Pour paraphraser le slogan MC Donald’« venez comme vous êtes », les citoyens veulent être considérés, traités de manière égalitaire quelle que soit leur particularité, leur différence.
Les opposants à la glottophobie s’insurgent contre l’invisibilité des accents régionaux parmi les dirigeants du CAC 40, ou dans les sphères médiatiques et culturelles.
Ainsi Jean Michel Apathie dans les médias, ou Jean Castex en politique font figure d’exception.
Perdre son accent est une condition nécessaire pour gravir les échelons du pouvoir.
Et quand les accents ne sont pas discriminés, ils suscitent de la drôlerie et sont associés à des stéréotypes souvent négatifs. Ainsi L Avia a dû corriger son accent de « banlieue » pour faire carrière en tant qu’avocate car il n’était pas compatible avec la fonction. Même quand il est perçu comme « sympathique », un accent peut-être un bagage encombrant : ainsi l’accent provençal ne sied pas à un patron de start up, car il ne « fait pas assez sérieux ».
Ceci étant le glottophobe n’est pas toujours l’autre…,
Ce name of shame pointe le doigt sur une pratique qui bien souvent s’exerce de manière inconsciente, la glottophobie ordinaire en quelque sorte. Dans la publicité, par exemple, vous imaginez le slogan J’adore Dior avec l’accent Marseillais ? Vous-mêmes vous pourriez être choqué tant l’accent parisien/bourgeois s’est imposé comme la norme sociale.
Pourtant compte tenu de l’évolution des sensibilités, on peut parier qu’une telle initiative suscitera sous peu un buzz, plutôt bon que bad.
[1] Discriminations : combattre la glottophobie.
[2] Sondage Ifop publié en janvier 2020.
[3] le député LREM de l'Hérault Christophe Euzet