Covid-19 : faut-il rendre contraignant l’isolement des personnes contaminées ?

Publié le 26 novembre 2020 par Sylvainrakotoarison

" Je souhaite que le gouvernement et le Parlement prévoient les conditions pour s'assurer de l'isolement des personnes contaminées, y compris de manière contraignante. Un vrai débat démocratique doit se tenir. " (Emmanuel Macron, allocution du 24 novembre 2020).

Voilà, le mot est lâché : contraindre. C'était dans les coulisses depuis un bon moment déjà, quelques semaines. Le Président de la République Emmanuel Macron a confirmé dans son allocution télévisée du 24 novembre 2020 sa volonté de rendre plus contraignant l'isolement nécessaire des personnes contaminées par le coronavirus SARS-CoV-2.
Emmanuel Macron a écarté toute idée d'une obligation de se faire vacciner contre le covid-19 et je m'en félicite, il a eu raison car cela aurait été contreproductif, mais il souhaite rendre obligatoire l'isolement de sept jours des personnes contaminées. Je désapprouve l'idée d'une mesure contraignante pour l'isolement mais je salue sa volonté de passer par le Parlement, peut-être justement est-ce un moyen d'enterrer cette idée en douceur ? En tout cas, la majorité parlementaire semble divisée sur cette question.
Avant d'évoquer le sujet, deux réflexions préliminaires.
La première, c'est qu'on commence à parler des "contaminés". Non, ce sont des "personnes contaminées", pas des "contaminés". Elles ne sont pas un groupe à part de l'humanité. Elles sont des personnes comme les autres. Et certains osent même les appeler "covidés", ce qui, évidemment, donne un arrière-goût de bovidés particulièrement péjoratif et sans empathie, un peu comme lorsque Jean-Marie Le Pen appelait les malades du sida "sidaïques" qui faisait un peu penser à "hébraïques"... Le vocabulaire a toujours son importance pour exprimer ses idées.
Alors que jusqu'à maintenant, personne n'a imaginé de "stigmatiser" voire culpabiliser les personnes contaminées, ce qui est assez logique pour une pandémie, c'est-à-dire pour une épidémie qui se propage dans tous les pays du monde sur toutes les populations, la probabilité d'être soi-même contaminé est très forte et donc, il vaut mieux être prudent dans ses expressions, j'entends poindre maintenant un début de culpabilisation dans le débat qui commence à s'instaurer à propos de l'isolement.
Rappelons à cet égard que les personnes contaminées sont des victimes du virus, pas des coupables, et bien malin celui qui sera capable de dire exactement comment une personne a été contaminée (à quel moment, avec quelle personne, en quelle occasion ?). À ce jour, plus de 60 millions de personnes ont été contaminées (1,4 millions en sont mortes), il y a eu beaucoup plus de personnes contaminées en fait, car ce ne sont que les personnes qui ont été dépistées, mais au printemps, par exemple, seules les personnes hospitalisées ont été testées en France.
Précisons aussi que les personnes contaminées ne sont pas forcément "malades" en ce sens qu'elles peuvent ne développer aucun signe clinique, on les appelle alors des personnes "asymptomatiques", ce qui fait de cette maladie contagieuse une maladie sournoise puisque tout le monde, en bonne santé, peut être un transmetteur du virus sans le savoir.
La seconde chose est de dire que l'isolement (pas l'isolation, pitié pour la langue française, on n'isole pas un conducteur électrique ni un mur, on isole une personne contaminée) des personnes tant contaminées que cas contacts a une durée qui est passée de 14 jours à 7 jours le 11 septembre 2020. Cette mesure, qui peut être contestable, a été prise justement pour rendre l'isolement effectif. Le principe de réalité nécessite une ambition moindre. Mais en fait, c'est une durée minimale, car si la personne est réellement malade, c'est 48 heures après la fin des symptômes, en particulier, la fin de la fièvre, cela peut donc durer bien plus longtemps.
Écartons les cas graves : toute personne hospitalisée pour le covid-19 est par définition isolée et suivie, accompagnée. Le problème se pose pour sa santé (beaucoup trop hélas en meurent, dans ces conditions) mais on sait que le virus ne se propagera pas (si les conditions sanitaires sont effectivement respectées à l'hôpital).
Emmanuel Macron a raison de dire que le contrôle de l'épidémie se fait par la stratégie : tester, alerter, protéger, soigner. Ce qui signifie : tester, tracer, isoler, soigner.
L'isolement de toutes les personnes contaminées, je dis bien toutes, c'est-à-dire même celles qui ne sont pas testées, est la condition indispensable pour freiner la circulation du virus. C'est même une évidence. Le problème est donc de bien tester, et d'avoir le résultat rapidement pour alerter ceux qui auraient été proches des personnes dépitées positives. Le problème des personnes asymptomatiques, c'est qu'une personne sans signe clinique peut transmettre le virus. On pourrait décider de tester tout le monde en même temps, et l'on saurait qui est ou pas contaminé, mais il faudrait encore le faire sept jours plus tard, à condition qu'il n'y ait aucune interaction humaine pendant ce temps, ce qui est évidemment impossible. On voit bien qu'on ne pourra éradiquer qu'avec un autre outil, la vaccination, mais le tester, alerter, protéger est une méthode pour freiner au maximum.
En échange, Emmanuel Macron use du sophisme lorsqu'il explique à la suite, et beaucoup de débatteurs l'ont suivi dans ce sophisme : " Mais si nous voulons éviter un confinement, nous devons être plus contraignants à l'égard de celles et ceux qui ont le virus. ". Mettre en parallèle presque un chantage : isolement contraint ou confinement. C'est un sophisme car l'isolement parfait des personnes contaminées n'aurait pas suffi à éviter le premier confinement : toujours ce problème des personnes asymptomatiques. Tant qu'on n'a pas des tests salivaires utilisables par tous à tout moment avec une réponse immédiate, il sera toujours difficile d'éviter que des personnes asymptomatiques ne soient pas dépistées ni ne soient pas isolées.
En revanche, ce sophisme permet de reporter la culpabilité de la poursuite de l'épidémie sur les seules personnes contaminées et même si ce n'est pas dans l'esprit du Président, certains n'hésiteront pas franchir ce pas.
D'un point de vue concret, la plupart des Français, heureusement, sont sages et conscients des dangers. Ils savent que s'ils sont contaminés, ils doivent s'isoler pour éviter de transmettre le virus à d'autres, souvent des proches par définition (sauf quand on prend le métro), en particulier à des personnes vulnérables. Quelle serait leur conscience jusqu'à la fin de leur vie s'ils apprenaient ou imaginaient qu'ils auraient été à l'origine de la contamination d'une personne qui en serait morte ? Oui, il n'y a pas à culpabiliser car le sens de responsabilité est forcément au rendez-vous dans ce contexte sanitaire mondial.
Après tout, nous avons connu une épidémie qui n'a pas fini d'être éradiquée et qui a fait beaucoup de décès, le sida, et en quarante ans, il a dû y en avoir, mais très peu de cas ont été recensés de personnes qui se savaient contaminées et qui ont sciemment évité de "s'isoler" (c'est-à-dire ici qui ont eu des rapports qui n'ont pas été protégés). D'ailleurs, il faudrait se demander pourquoi vouloir faire une loi sur l'isolement (j'approuve le débat, pas la loi), car il y a déjà suffisamment de lois pour contraindre : la mise en danger d'autrui en fait partie.
Dans la très grande majorité des cas, les personnes contaminées s'isolent.
Mais il faut savoir ce que signifie s'isoler. Si s'isoler signifie quitter le domicile familial et passer sept jours dans un hôtel, ok mais comment faire si on est une famille monoparentale ? La personne vivant seule à son domicile n'a pas ce problème, si ce n'est qu'il faut bien qu'elle se nourrisse malgré tout. Les personnes qui ne sont pas hospitalisées mais qui ont des symptômes (fièvre, toux, etc.) sont finalement comme des personnes malades de manière classique, en général, on s'isole naturellement quand on a chopé une grippe, une gastro, etc. On ne va pas à son travail, etc.
Le problème, lorsqu'il y a plusieurs personnes qui vivent au domicile d'une personne contaminée, c'est la contamination des autres membres du foyer. Là encore, les inégalités sociales sont grandes : entre ceux qui habitent dans une maison, qui vont pouvoir s'isoler, voire utiliser des toilettes, salle de bains spécifiques, séparés des autres membres de la famille, et ceux qui vivent dans un petit appartement et qui sont les uns sur les autres, c'est évidemment très différent.
À mon sens, aux seules, les personnes qui n'ont pas la possibilité de s'isoler réellement des autres membres du foyer, on doit leur proposer un hébergement alternatif. Mais seulement de manière volontaire, pas leur imposer. D'une part, parce qu'il y aurait inégalité si on ne l'impose qu'aux personnes les plus pauvres, celles qui ne peuvent pas vivre dans un grand domicile, et d'autre part, parce qu'il y aurait stupidité à vouloir généraliser la mesure à tout le monde, afin d'éviter cette inégalité sociale.
Dans les débats, j'ai entendu des choses ahurissantes. Des amendes de 10 000 euros, ou de 1 500 euros pour ceux qui ne s'isoleraient pas. Et même, je trouve encore plus ahurissante, une prime de 30 euros pour ceux qui accepteraient de s'isoler. Concrètement, 30 euros n'est pas suffisant pour compenser ce qu'une personne isolée ne pourrait plus faire : aller travailler, faire ses courses, s'occuper de ses enfants, etc. C'est même dérisoire et insultant. Pire, face à l'amende, il y aurait des aventuriers, des personnes, contaminées, qui feront exprès de sortir par provocation, par militantisme politique, pour s'opposer.
Autre considération, on parle d'isolement, mais à part dans certains pays que personne ne voudrait sincèrement imiter car ce n'est pas dans notre mentalité (notamment en Chine), il est illusoire de parler d'isolement. Une personne contaminée doit bien pouvoir vivre, pendant ces sept jours, donc, pouvoir se nourrir mais aussi être soignée si elle a des signes cliniques, à savoir, il faut bien qu'il y ait des personnes (j'y reviendrai) qui puissent les suivre, les accompagner dans leur maladie, et cela, forcément, fait que l'isolement restera toujours partiel et jamais absolu. C'est d'ailleurs le problème des EHPAD. Si on isole complètement les résidents, il n'y aurait plus de personnel soignant ou aidant pour la toilette, les repas, les soins.
Enfin, il faut bien comprendre qu'on ne peut pas infantiliser les personnes. L'esprit de responsabilité, c'est de les convaincre de leur devoir moral de s'isoler, pas de les contraindre de force. Sans compter que certaines personnes peuvent être traumatisées d'avoir été contaminées, éventuellement dans la peur de développer une forme sévère, et que la proximité de leur famille (tout en respectant les gestes barrières) peut être un élément indispensable sinon vital pour leur état psychologique.

Mais au-delà de ses considérations très subjectives, je vois surtout deux obstacles majeurs (en fait, trois !) à rendre contraignant un isolement, à savoir, à sanctionner d'une amende forte ceux qui ne s'isoleraient pas.
Le premier obstacle à l'isolement contraint, c'est de pouvoir verbaliser : s'il n'y a pas cette possibilité, il n'y a pas de contrainte. Or, comment verbaliser dehors des personnes contaminées, sans leur coller une étoile jaune sur la figure ? Je suis provocateur, c'est vrai, mais c'est un peu cela le problème. Qui peut savoir que je suis ou pas contaminé ? Et comment le représentant de l'ordre pourrait savoir sans violer le secret médical ?
Car c'est bien là le problème majeur : le seul moyen pratique, c'est de faire comme avec le permis de conduire, c'est-à-dire constituer un fichier national de toutes les personnes qui auraient été contaminées ou qui seraient encore contaminantes. On imagine bien que l'existence d'un tel fichier serait très dangereuse, il n'existe pas, et l'on imagine bien ce que pourraient en faire par exemple les compagnies d'assurance. Mais encore faudrait-il pouvoir déjà le constituer.
Le deuxième obstacle découle en partie du premier et plus généralement de la peur d'être obligé d'être isolé : le meilleur moyen pour ne plus avoir de problème, dans ces conditions, ce serait de ne plus se faire tester. C'est la réaction de la plupart des médecins qui abordent cette question. Rappelons qu'à part certains contextes (vol aérien, personnel soignant, etc.), les tests sont volontaires et pas obligatoires. Les gens ne se feraient plus tester, et il y aurait alors une perte très importante de visibilité pour observer la situation épidémique réelle. À terme, il faudrait alors obliger à se faire tester, mais selon quels critères et quelle fréquence ? On voit bien dans tout cela qu'il n'y a rien de concret ni de réalisable.
En fait, il y a un troisième obstacle majeur, mais c'est sur celui-ci qu'il faudrait que toutes les forces vives, pouvoirs publics, collectivités territoriales, se focalisent dès maintenant. C'est que l'isolement, contraint ou pas, impose un accompagnement et un suivi qui ne sont pas satisfaisants aujourd'hui.
Il faut en effet un accompagnement humain pour faire des courses, aller chercher des médicaments, s'occuper aussi des enfants (les amener à l'école), etc. En gros, il faudrait une personne à plein temps pour deux ou trois personnes isolées au maximum. Aujourd'hui, la moyenne est d'environ 10 à 20 000 nouvelles personnes contaminées chaque jour, soit, pendant sept jours, environ 100 000 personnes contaminantes à rester isolées, en fait, bien plus car celles qui développent la maladie doivent rester isolées au-delà des sept jours.
Cela signifie en gros une personne qui accompagne par commune, ou 300 par département. Tout cela, c'est de l'organisation. Des bénévoles ? des personnes payées ponctuellement ? Et il ne faudrait pas qu'elles se fassent elles-mêmes contaminer.
Mais il faut aussi d'autres accompagnements, financier par exemple, mais celui doit déjà être pris en charge par la sécurité sociale comme un arrêt maladie "ordinaire".
Si l'on veut renforcer le "taux d'isolement" des personnes contaminées (parlons technocrate), il ne faut surtout pas leur coller des risques d'amende très chère pour les dissuader. Pour les raisons que je viens d'évoquer, cela ne sera pas efficace. Il faut leur proposer un accompagnement adapté à leur situation particulière qui les convaincrait qu'ils ne seraient pas "perdants" en restant isolés.
C'est le sens, comme j'ose le croire, des propos du Président Emmanuel Macron lorsqu'il termine sur le sujet par ces phrases : " Ces personnes seront accompagnées sur le plan matériel, sanitaire et psychologique. Cette nouvelle stratégie associera, outre les services de l'État, les maires, leurs services, comme les associations concernées. ".
Pour conclure, je souhaite donc que le débat parlementaire quitte la voie de la contrainte (on peut constater qu'il y a parmi les parlementaires quelques petits dictateurs en puissance) pour aller réfléchir surtout sur les moyens que l'État et les collectivités locales pourraient mettre en œuvre pour mieux accompagner les personnes isolées. C'est le seul moyen d'optimiser ce "taux d'isolement" dont, aujourd'hui, on ne connaît d'ailleurs aucune estimation. Avant de contraindre et de légiférer, il serait bien de savoir quelle est la situation réelle et si celle-ci est plutôt satisfaisante ou pas.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (25 novembre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Covid-19 : faut-il rendre contraignant l'isolement des personnes contaminées ?
Allocution télévisée du Président Emmanuel Macron le 24 novembre 2020 (texte intégral et vidéo).
Le calendrier de l'Avent du Président Macron.
Covid-19 : vaccins et informations parcellaires.
La lune de Jupiter.
Faudra-t-il rendre obligatoire le futur vaccin contre le covid-19 ?

https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201125-coronavirus-covid.html
http://rakotoarison.canalblog.com/archives/2020/11/26/38673344.html