Chroniques d’un anthropologue au Japon (28)

Publié le 26 novembre 2020 par Antropologia

Distances sociales (2)

Sur la ligne Hankyu Takarazuka, un homme entre à l’arrêt Toyonaka. Il n’est pas japonais, chose rare en cette période de fermeture du pays. Il porte un masque, une casquette et un costume de travail. La trentaine peut-être. Les portes se referment. Il se déplace rapidement et précisément, pour contrôler les fenêtres du train. Il demande à la femme assise à côté de moi, dans un japonais correct, mais un poil autoritaire, de bien vouloir ouvrir la fenêtre derrière elle. Puis il regagne sa place de gardien, debout, au centre du wagon. Tous les passagers portent des masques à l’exception d’un jeune, looké comme un étudiant, près de la porte. Pas de chance. Le jeune se met à éternuer. Regard noir de l’étranger. Sec et ferme, « Mask wo kittekudasai », Portez un masque s’il vous plaît. L’étudiant, surpris, baisse la tête et s’excuse vaguement. L’étranger, vexé, monte le ton. Dans un japonais maintenant presque incompréhensible pour la population locale. Saigo da ! Saigo da ! Un calque de l’anglais, qui marche aussi en français, traduisible par C’est la dernière fois ! Saigo, en japonais est utilisé pour parler littéralement de la dernière partie de quelque chose, la dernière personne d’une file, ou le dernier chapitre d’un livre. L’étranger est maintenant rouge écrevisse, le regard noir, prêt à faire usage de la force s’il le faut. Le train devient complètement silencieux, à cause de la peur, ou bien des fautes d’expression qui soudainement rendent le jeu de l’étranger ridicule. Certains doivent penser que l’homme, s’il fait très bien la police, n’est par contre pas tout à fait au point en japonais.

L’étranger sort à la station suivante, Juso, et l’atmosphère se détend. Je ferai attention dorénavant entre ces deux gares, si l’homme monte, de prendre mes distances.

Rémi Brun