Covid-19 : le storytelling d’Emmanuel Macron

Publié le 26 novembre 2020 par Dangelsteph
Photo de Rémi Jouan - Licence d'utilisation

Storytelling présidentiel de Covid-19 ou storytelling de confinement ? Oui, car cet article a été écrit au lendemain de l'intervention du Président de la République à la télévision, le 24/11/2020.

Avertissement : ce n'est pas un article à charge sur la gestion de la crise sanitaire. Je ne parle ici que de communication, et plus précisément de storytelling. Sur le reste, j'ai bien entendu mon avis comme tout le monde, mais je n'ai pas envie d'en parler sur ce blog.

Cet article clôt la trilogie que j'ai débuté récemment, avec un article sur le storytelling des médecins, et un autre sur le storytelling du gouvernement. Il ne restait donc plus qu'à aborder le troisième personnage majeur de cette histoire. Après, promis, je passerai à autre chose. Nous voulons tous passer à autre chose, au plus vite.

Les axes de ce storytelling :

On pourrait tout décrypter en long, en large et en travers, mais je vais me contenter de 3 points qui, pour moi, sont particulièrement marquants.

    La volonté de donner un cap pour donner de l'espoir :

Le président Macron l'avait annoncé depuis de nombreux jours. Il voulait redonner de la visibilité aux Français. Il tenait à donner un cap, pour, de manière ultime, redonner de l'espoir, avec aussi de la cohérence, comme l'a indiqué le président. L'idée de sortir de la spirale d'un jour sans fin. L'analogie avec le film qui porte le même titre est plutôt adaptée, tant nous avons l'impression d'être pris dans une boucle temporelle.

Il a donc donné un cap, en 3 étapes.

Attention, attention... A l'heure où j'écris ces lignes, le deuxième protagoniste des prises de parole d'Emmanuel Macron ne s'est pas encore exprimé. J'ai nommé Jean Castex, le Premier ministre. Les prises de parole du président, du moins sur la Covid-19, sont en effet toujours suivies, en général le lendemain, d'une allocution de Jean Castex. Pour, dit-on, préciser les annonces, les mesures. Avec parfois des couacs bien normaux : quand on parle en duo, c'est normal.

En général, Emmanuel Macron est dans le rôle du gentil policier. Les choses semblent aller mieux etc. et on peut entrevoir de la lumière. Et puis ensuite arrive le méchant policier. J'utilise cette formule parce que le procédé rappelle beaucoup cette technique traditionnelle du "good cop - bad cop". Donc, Jean Castex, qui vient quelque peu éteindre la lumière en nous disant que non, finalement, il ne faut pas nous réjouir. Parfois, le ministre de la Santé, Olivier Véran, vient encore en rajouter une couche.

Dans les jours précédant l'allocution, différents personnages s'invitent dans l'histoire : porte-parole du gouvernement, experts variés... Chacun y va de sa suggestion de mesure pouvant ou ne pouvant pas être prise. Exemple : sur le fait de rendre, ou non, obligatoire sous peine de fortes sanctions voire imposer des mesures de coercition pour isoler les cas positifs et même, selon certains, les cas contacts.

Quelqu'un m'a fait observer que ce n'est ni plus ni moins que la vieille technique des ballons sondes, qui existe depuis l'Antiquité romaine. On lance un ballon et on observe dans quel sens l'emporte le vent.

Les problèmes de ce storytelling :

    Premier problème : c'est une stratégie de communication et ça se voit :

Nous ne sommes plus à l'ère de l'ignorance communicationnelle des foules. Aujourd'hui, la plupart des gens sont des experts en communication : on peut remercier les réseaux sociaux pour cela. Les gens décryptent donc facilement les stratégies, les trucs des conseillers en communication, dont ils sentent la patte, le schéma opérationnel derrière la prise de parole. Et parce que tout le monde sait ce que cela fait que d'utiliser des tactiques de communication, et bien on n'aime pas cela, parce qu'on n'aime pas être une cible, ni applaudir quand le chauffeur de salle nous dit de le faire.

Quand on veut redonner de l'espoir, laisser percevoir qu'une stratégie de communication est à l'oeuvre instille le doute, l'idée que l'on nous cache des choses. Que ce soit vrai ou non, peu importe : l'important est ce que les gens croient.

Par exemple : Emmanuel Macron croit-il vraiment à son cap, ou espère-t-il juste qu'il se réalise ? Ou encore : est-ce qu'il s'agit juste de maintenir les gens en haleine et donc dans les gestes barrières, en attendant... En attendant quoi, d'ailleurs ?

Autant de questionnements que la perception d'une stratégie de communication peut éveiller.

Pareil pour la technique gentil - méchant policier, ultra connue et facilement identifiable - décryptable.

Deuxième difficulté. Comment donner un cap dans une tempête ? Du coup, le cap est assorti de nombreux "si". Est-ce que ces "si" sont entendus dans un contexte où les gens sont prêts à se raccrocher à n'importe quelle bouée parce qu'ils ont l'impression de se noyer ? Pas sûr. Et gare à la non-réalisation de ces "si", qui ouvrirait une brèche dans la coque du bateau.

Quand on a demandé au médecin star de la télé Michel Cymes "qui croire ?" dans le futur de cette pandémie, il a répondu : "croyez celui qui vous dit qu'il ne sait pas".

Lancer des ballons sondes pour suivre le vent peut être utile. Mais, justement, quand la tempête souffle, comment est-ce que le sens du vent pourrait-il être un indicateur de quoi que ce soit ? Un ballon sonde dans ces conditions météo a autant de fiabilité qu'un sondage aux élections présidentielles américaines. Compter là dessus pour éclairer une prise de décision, c'est ouvrir la porte à bien des biais de confirmation et d'attribution.

C'est ce que je pense. Est-ce que, pour autant, j'ai la solution idéale ? Non. Ce qui ne m'empêche pas d'avoir des idées.

En voici une. Chers dirigeants, n'écoutez pas vos conseillers en communication. C'est un peu drôle de dire ça, en tant que consultant moi-même. Mais oui. Si vous voulez vraiment établir une relation avec les gens, ne leur parlez pas avec des accents de communicants. Parlez leur en tant que personnes, qu'être humains. Pas en tant que techniciens, de la communication ou d'autre chose. L'humain a des fragilités, l'humain ne sait pas tout, et bien soit. Ce n'est pas pire que de faire croire que l'on gère, pour que les personnes à qui l'on a fait croire cela découvrent par la suite que ce n'était pas le cas. Et là, le "par la suite" n'est pas dans la temporalité politique habituelle. Ce n'est pas "aux prochaines élections", quand tout le monde aura oublié. Non, c'est la temporalité de la Covid-19, une affaire de jours, de semaines.

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