Honte de la République
Publié le 24 novembre 2020 par Jean-Emmanuel Ducoin
Lundi soir, à Paris, la place de la République n’en portait que le nom. Elle était souillée par des policiers déchaînés, en roue libre. Soudain, leurs voix se ratatinèrent, leurs yeux perlèrent, et lorsque leurs cris d’effroi jaillirent finalement dans la nuit parisienne, il n’y eut que déferlements de haine et de brutalité, comme des coups de couteau sur les plaies de leurs vies. Lundi soir, la place de la République n’en portait que le nom. Elle était souillée par des policiers déchaînés, en roue libre. Des vidéos en attestent. Oui, des images de journalistes, venus couvrir l’évacuation d’un campement de migrants, commanditée par le préfet Didier Lallement et validée par le ministère de l’Intérieur. Quelques heures avant le vote de la loi «sécurité globale», on notera la suprême vilenie de Gérald Darmanin, parlant d’«images choquantes». Principe de réalité et leçon de choses, pour l’hôte de Beauvau: pour qu’il y eût des «images choquantes», il fallait bien des images…
Au cœur de la grande ville, il ne s’agissait donc pas de «mettre à l’abri» des êtres humains en détresse, la plupart errant depuis l’évacuation du camp de Saint-Denis, faute de place dans les centres d’hébergement. C’est précisément pour sensibiliser les citoyens qu’ils avaient choisi ce lieu pour se réunir, entourés d’associations, d’avocats et d’élus. De la République, ils n’en ont vu que les matraques et un usage excessif de la force qui s’apparentent à de la violence gratuite, s’abattant sur des migrants d’abord, mais aussi des journalistes, des militants associatifs…
Les mots ne manquent pas pour exprimer notre sidération et notre colère. Certains s’imposent: la honte de la République! Honte à ce gouvernement, qui a laissé plusieurs centaines d’exilés à la rue, dans un dénuement extrême. Honte à cette force publique, qui a repoussé violemment les exilés de la misère, les jetant comme rebuts, arrachant leurs tentes, certaines encore occupées. Plusieurs vidéos montrent des groupes de réfugiés prendre ensuite le chemin de la Seine-Saint-Denis, encadrés par les gyrophares de véhicules de police. Tout un symbole: «Pauvres hères, retournez chez les autres pauvres»…
Ces nouvelles violences, perpétrées en toute impunité et indignes de la France, marquent une étape supplémentaire dans la dérive liberticide du pouvoir. Le multirécidiviste préfet Lallement et son ministre de tutelle ont de sérieux comptes à rendre. La République est salie, durablement blessée.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 25 novembre 2020.]