(c) simon lachapelle
il y a des jours où
même la majesté du palace
ne saurait enrayer
cette sensation de claustrophobie
qui monte en moi
l'hiver s'installe
on trouverait sûrement pas loin d'ici
un de mes billets du printemps ou de l'été
où je vante les vertus du cloître
et dans lequel je prétends
que je pourrais vivre en autarcie
en faisant mon pain et en mangeant mes tomates
c'était alors qu'il faisait beau
que la terrasse était ouverte sur la vie
et les fenêtres et portes béantes sur les balcons
d'où nous échangions à qui mieux mieux
avec en bruit de fond
les rires des enfants
les martèlements des piqueurs
la fureur des légumes qui poussent
le piaillement des oiseaux
les chutes des écurueils
et les sauts des chatons
c'est rendu novembre man
fuck l'autarcie pis les tomates
les fenêtres sont closes
la terrasse est rangée
j'ai sous-estimé l'importance de ces lieux de détente
que sont les cafés et les restaurants
depuis mars
je passe du déjeuner à la cuisine
au travail au bureau
au lunch à la cuisine
au travail au bureau
au souper sur la terrasse
ou depuis peu dans le sous-sol au feu
c'est beaucoup mieux que de faire tout cela dans la même pièce
mais c'est assez pour m'étouffer
entre les quatre murs de l'appartement
même si j'ai le privilège de manger
de dormir dans des draps propres
de me laver et me vêtir
même si je ne manque de rien
pour varier un peu
on a commencé à commander
des repas à emporter préparés par les restaurants
pour manger autre chose
que ce que l'on fabrique soi-même
mais au-delà du produit
il me manque d'être ailleurs
je m'ennuie de
m'asseoir après la natation
sur la banquette du café pamplemousse
avec mes amis près de moi
pour jaser autour d'un café et d'une omelette
je m'ennuie de
m'asseoir au bar du beaufort
en revenant du travail un mardi soir
de façon impromptue
et texter mon chum pour qu'il vienne me rejoindre
je m'ennuie de
donner une date à mon époux
pour qu'on lunche ensemble au centre-ville
je m'ennuie de
m'accouder au bar de nelson
et déposer sur mes genoux
ma serviette bleue carreautée
lorsqu'on arrive à obtenir une place au joe beef
je m'ennuie de
faire un léger line up le dimanche matin
près de la porte du santa barbara
alors que steven continue
d'accueillir chaleureusement ses invités
avec son accent de vancouver
en attendant de savourer le meilleur brunch en ville
je m'ennuie de
rentrer comme chez moi
prendre le caffè au san gennaro
et manger de la pizza aux patates pour déjeuner
je m'ennuie de
me faire servir avec générosité
par les italiens de mon quartier
tant à la bottega
que chez luciano trattoria
je m'ennuie des bruits d'ustensiles
dans les assiettes
de tous les bistrots et bars à vin accueillants de montréal
qui servent le coquetel et le vin
aussi bien que l'os à la moëlle
la taverne dominion
le café un po di più
l'express
le bar henrietta
vin vin vin
je m'ennuie de
m'attabler autour d'une nappe de plastique
au kam shing de la rue van horne
entourée de couples de vieux et vieilles perruquées
et maquillées au crayon bleu
et de familles de toutes les races
d'outremont et côte-des-neiges
pour manger de la soupe won ton
servie par un chinois qui parle français en ricanant
je m'ennuie des tablées de douze
chez chili
où il vaut mieux réserver en s'appelant yen
et où l'on partage en gang
l'aubergine plus relevée que la salade de patates
plus relevée que la crevette panée
plus relevée que la soupe de poisson
le tout arrosé d'une tsing tao
ou douze
et des biscuits chinois au lit
je m'ennuie de me déposer
le temps d'une tasse
d'une assiette
d'une jasette
dans un décor plus magnifique que le mien
imaginé dessiné structuré et fabriqué
par zébulon perron et ses acolytes
juste pour quelques instants furtifs
juste le temps de m'évader
de mon quotidien.
depuis mars je me dis
que les restaurants devront s'adapter
que le modèle actuel est dépassé
malgré sa grande popularité
je pensais que je pourrais m'en passer
mais je m'en ennuie
je souhaite de tout coeur
que nous puissions trouver ensemble une solution
pour que continuent de vivre ces marchands de rêves
qui nous font tant de bien
voir le documentaire chef en pandémie ici