Harîti, déesse indo-grecque, 2dn siècle, Pakistan
Dans un article précédent, j'évoquais l'idée de dialectique comme loi de la vie - thèse antithèse synthèse, "dépasser en intégrant". Mais cette sorte de tension entre des opposés doit être distinguée de la complémentarité.
En effet, l'opposition dialectique se joue entre des termes qui ne sont pas égaux. Ainsi, le mental n'est pas l'égal de la pure présence. Il semble s'opposer à elle, mais ils ne sont pas sur le même plan. Le mental tend à être objectif (des pensées que l'on peut pointer du doigt de l'attention), tandis que la présence est subjective. Elle se sent elle-même, mais on ne peut la désigner comme on désigne une chose. Et c'est justement cette inégalité qui est une hiérarchie, laquelle s'enracine dans du sacré. Et c'est justement cette disproportion entre les deux plans qui permet la progression dialectique. La tension engendrée par l'inégalité est à la fois l'obstacle et le moyen de le surmonter, comme le vent qui freine le voilier peut le faire avancer.
Alors que les complémentaires sont égaux. L'homme et la femme sont égaux.
En outre, la dialectique ne vise pas un équilibre ni la production d'un effet que l'un des termes seuls ne saurait produire, à l'image du cul-de-jatte et de l'aveugle. La dialectique vise une réconciliation d'un effet avec sa cause, comme les vagues avec l'océan. Il y a 1 les vagues 2 l'océan 3 les vagues dans l'océan, comme manifestation de l'océan. Mais les vagues et l'océan sont sont ni égaux, ni complémentaires.
La progression par intégration de la personne, du mental, de la dualité, dans l'unité, tout cela doit être distingué du problème de l'équilibre entre les forces opposées qui s'affrontent dans l'âme. Equilibrer mon masculin et mon féminin, mon cœur et ma tête, et ainsi de suite, ça n'est pas le même mouvement que les cycles d'intégration du mental dans la présence, car la présence n'a pas besoin du mental, de même que l'océan n'a pas besoin des vagues. Certes, les vagues sont une manifestation du mouvement total de l'océan, mais les vagues ne viennent pas compléter ou équilibrer l'océan.
Dans la vie intérieure, je découvre un absolu qui, d'abord, semble nier tout le reste. C'est l'antithèse et c'est l'impasse dans laquelle on se sent bien souvent bloqué. Mais ensuite, on revient vers "tout le reste", qu'on le veuille ou non, par lucidité, par sagesse ou, le plus souvent, poussé par les forces de la vie elle-même. Et puis on revient vers l'absolu, ou l'absolu revient vers nous. C'est un mouvement en spirale, car on ne revient jamais exactement au même point : il y a progression.
Mais à côté de cette progression, il y a aussi la tension entre les forces opposées et complémentaires en notre âme. On réalise peu à peu cette complémentarité. Il y a alors comme le mouvement d'un balancier, un mouvement qui tend vers un équilibre. Par exemple, entre la veille et le sommeil, entre l'activité et le repos, entre la connaissance et l'amour, entre la raison et l'intuition, entre les recettes et les dépenses, etc.
Je crois qu'il faut distinguer clairement ces deux types de tension, même si les tensions entre complémentaires se reflètent souvent dans l'opposition entre l'absolu et le relatif, entre le divin et l'humain, entre l'impersonnel et le personnel. Intégration et équilibre restent cependant deux mouvement distincts, quoique liés. La tension entre des forces psychiques ou vitales opposées interfère en effet avec la quête de l'intégration du corps-mental dans la présence. D'où les confusions. D'où le besoin de clarté.