Pour moi voyager sot signifie qu'il faut arriver sur les territoires sans idées préconçues. En revanche, cela ne veut pas dire qu'il faut en repartir sot, sans avoir prêté la moindre attention aux gens et aux lieux, bien au contraire. Le voyage a justement pour but de se donner l'occasion de découvrir les choses de ses propres yeux.
Joseph Deiss est allé à plusieurs reprises dans le Pacifique, sur une période de vingt-trois ans, de 1996 à 2019. S'il est véritablement fasciné par cet océan, y a-t-il trouvé nulle part le paradis qu'il espérait?
Car, comme en beaucoup d'autres lieux du monde, il a trouvé ambivalence tragique et heureuse sur les terres qui y émergent, qu'il s'agisse de tout petits confetti ou d'un réel continent comme l'Australie.
Dire qu'il ne prépare jamais rien ne semble pas tout à fait exact. S'il ne part pas avec des guides touristiques, il connaît ces terres par la lecture de récits de voyages effectués par d'autres au cours des siècles.
Des découvreurs reviennent d'ailleurs régulièrement sous sa plume, qui ont donné leurs noms, à des îles ou des archipels. Il en est ainsi de Samuel Wallis, de James Cook ou d'Antoine de Bougainville.
Ce n'est pas quand il tire des plans sur la comète, comme il dit, qu'il emporte l'adhésion du lecteur. Aussi ne s'appesantit-il pas trop, heureusement, sur le réchauffement climatique ou l'épuisement des ressources.
Sur ces sujets tendance, l'idéologie le dispute à la science climatique ou économique. Il en est de même du problème des réfugiés ou des victimes du nucléaire où trop de compassion, même légitime, nuit à la réflexion.
Quand il rapporte de ses voyages nombre de petits faits vrais relatifs aux êtres et aux choses, il est nettement plus intéressant et plus convaincant. À ce moment-là, le lecteur voyage vraiment avec lui.
Ainsi en est-il de la ligne de changement de date qui permet au voyageur de jouer avec le temps, ce qui, pour ceux qui ne se sont jamais trouvés dans les parages, est tout simplement inimaginable et déroutant:
En comptant les vingt-quatre heures vécues à Wallis et les vingt-huit qui nous restent à Papeete, nous aurons vécu une journée de quarante-deux heures.
Ainsi en est-il de la difficulté qu'il peut y avoir pour quelqu'un d'actif comme lui à mener une vie de farniente sur une belle île comme Wallis où ne sont à sa disposition que la nature, merveilleuse, et le temps:
Ne rien faire, la paresse, ça s'apprend.
Ainsi en est-il de la ferveur débordante des musiciens et du public qu'il a le bonheur de vivre dans l'église de la Sainte Famille à Moorea, où il assiste à la messe du quinze août, c'est-à-dire le jour de l'Assomption:
Heureusement que dans le Pacifique, anciennes terres missionnaires, on sait encore prier comme l'Europe ne le fait plus. Qui sait, un jour, on viendra de ces anciennes missions pour convertir l'Occident.
Au sujet du catholicisme, Joseph Deiss rapporte les propos de Tématai, son chauffeur d'un jour à Hiva Oa, relatifs au peintre génial et au poète chanteur au grand coeur qui y sont enterrés dans le même cimetière:
Le "mécréant" Gauguin tout comme le "casseur de curés" Brel ont toujours entretenu de bonnes relations avec les religieuses de Saint-Joseph de Cluny, installées sur l'île depuis 1807, jusqu'à aujourd'hui...
Au bout de ses voyages, l'idéaliste Joseph Deiss n'a pas découvert le paradis que lui promettait la Fascination Pacifique, mais il a fait un rêve, qui n'est pas la vie facile ou la volupté, même élevées au rang de vertus:
Le véritable fantasme inaccessible de l'homme, à ce jour, est la paix entre les peuples, d'une part, et la réconciliation de l'humanité avec la nature et ses Dieux, d'autre part.
Francis Richard
Fascination Pacifique, Joseph Deiss, 228 pages, L'Aire (à paraître)