Quand je regarde en moi, quand j'observe mon expérience, je suis tenté de conclure que l'expérience ou la conscience n'est faite que d'épisodes de conscience, des "flashs" instantanés, des épisodes de perception, de pensée, de sensation, d'image, de souvenir. L'expérience serait comparable à un film : il n'y a, en réalité, pas "un film", mais seulement une succession rapide et discontinue d'images fixes et différentes. Mais la rapidité de cette succession engendre l'illusion de voir "un film". De même pour la conscience. Il n'y a qu'une succession d'épisodes discontinus et différents, mais la rapidité du flot de leur succession engendre l'illusion d'"une conscience", identique et une, en dépit des changements.
Cependant, je ne suis pas d'accord. J'ai l'intuition que la conscience est plus que les pensées, les perceptions, les sensations, les souvenirs. Et cela reste vrai, même si le contenu de l'expérience est illusoire ou erroné. Car oui, je perçois tout cela, je suis ce qui embrasse, ce qui synthétise tout cela. C'est évident quand je reconnais une chose, et spécialement dans la reconnaissance de soi. Je suis un pouvoir, une activité unifiante qui est quelque chose de plus que ce qu'elle unifie. Je suis plus que les vagues, je suis plus que la succession des expériences. Cela ne veut pas dire que je suis une sorte de toile de fond immuable et insensible. Mais je suis ce qui unifie tous le flot des épisodes de mon expérience. C'est pour cela qu'il y a de l'unité : unité de l'expérience, unité de telle ou telle chose, unité de moi, des autres, unité du flot de mes expériences.
Donc, la conscience est plus que les pensées, etc. Je suis toujours plus, plus que tout, un peu comme l'espace, mais avec le dynamisme en plus. Tout cela n'est rien de plus que moi, que l'acte de conscience ou l'activité de conscience que je suis. Mais moi, je suis plus que tout cela. J'embrasse, j'englobe, toutes les personnes, toutes les choses. Parmi ces personne, il y a en a une à laquelle je m'identifie davantage en cette incarnation.
Je suis toujours présent, avant la naissance de cette âme, après sa disparition. Je suis absolument conscient durant le sommeil profond, le coma, l'évanouissement, la méditation. Celui qui affirme qu'il est inconscient pendant le sommeil profond se contredit : s'il était vraiment inconscient pendant le sommeil profond, comment peut-il dire qu'il était inconscient ? S'il répond qu'il ne le sait pas par expérience directe, mais par inférence, à partir des heures indiquées sur sa montre, je répond qu'il y a eu interruption d'un certain contenu de l'expérience : la montre, le monde, le corps et les pensées ont disparues. Ou plutôt, il y a comme une rupture. Mais qu'est-ce qui permet d'imputer cette rupture dans le cours des choses à une rupture dans le cours de la conscience ? La conscience ne disparaît jamais, seul les choses disparaissent. la conscience n'est jamais interrompue : le cours des choses est interrompu.
Mais alors, où passe le monde pendant le sommeil profond ? Eh bien, il redevient indifférencié, il redevient conscience indifférenciée, masse de pure présence. C'est comme la vague : quand elle disparait, elle ne fait qu'un avec l'océan. Avant que ce corps apparaisse, que cette âme apparaisse, elle ne faisait qu'un avec la conscience, comme l'eau dans l'eau. Et de fait, cela arrive d'instant en instant. Dès que je suis interrompu, c'est-à-dire quand je passe d'un objet à l'autre, je redeviens pure conscience entre les deux. Mais d'ordinaire, je n'y fait pas attention, car je suis persuadé qu'il n'y a rien d'autre que les choses et les pensées. Mais si je suis averti de cette possibilité, alors je me goûte simplement, sans rien d'autre, sans contenu. Je vois la vision par laquelle je vois. Je suis l'être par lequel tout est. Je goûte la saveur de ce goût qui rend toutes les saveurs possibles.
Je suis une conscience, une, éternelle, au-delà de tout, puissance qui unifie tout, qui sépare et réuni, qui fait et défait tout, je suis ce mouvement total que l'on appelle "l'océan". Je suis cette totalité, infinie, inépuisable. Et je suis l'univers, et je suis cette âme aussi, cette incarnation en devenir, en progrès, en expansion. Je suis l'océan et je suis la goutte aussi. Je suis la somme de toutes les eaux et je suis l'eau, je suis ce tout et cette partie, les deux étant en relation comme un hologramme et l'un de ses fragments, qui contient pourtant son image totale. Je suis l'apparition de la disparition, la présence de l'absence, je suis l'âme du néant et pourtant je transcende tout ce qui est. Je suis le miracle secret au cœur de tout.
Je ne suis pas que les pensées, les perceptions, les sensations, les souvenirs. Je suis la mer dont ils sont les vagues.