Voyage au bout de l'enfer oenologique

Par Afust

Sur ce blog il y a quelques bons clients.
Le site « dans ma bouteille » est en passe de devenir l’un d’eux.
Je m’y suis d’abord intéressé lors de son lancement, avec un billet intitulé : « Défense du consommateur ? rions un peu … ».
Puis j’y revenais, mi énervé mi consterné avec : « Les roquets aboient et la Master Classe passe. ».
On ne pourra pas leur reprocher de manquer de constance (et sans doute est-ce l’un des rares reproches que l’on ne puisse leur faire) puisque depuis ils nous ont gratifiés d’un nouvel Himalaya du grotesque, je veux parler de leur :

« Qu’est-ce que l’œnologie ? »

Un article qui, dans le fond comme la forme, devrait rappeler quelques souvenirs d’enfance à certains de mes lecteurs. Les dessins en moins, ce qui est regrettable car c’était quand même le plus réussi.


Recension :

« Qu’est-ce que l’œnologie ?
Au sens large du terme, l’œnologie est une science qui a pour objet l’étude des vins. Aujourd’hui, il en existe de nombreux domaines d’applications, allant de la culture du raisin, alias la viticulture, à la transformation de son jus en vin alias la vinification. »
Le sujet est certainement marginal et probablement délicat à trancher, ceci étant dit : je ne crois pas que l’œnologie soit une science. Ma conviction est en effet que l’œnologie est un domaine d’application pour quantité de sciences qui vont de la microbiologie à la chimie en passant par la mécanique des fluides ou l’agronomie.
« Fantasmant parce que l’on pense (à tort ?) que la nature règne en maître et que l’œnologue est une personne capable de la comprendre et de pouvoir l’intégrer dans nos bouteilles de vin… »
« On pense » ?
Mais qui donc et pourquoi ?
Au moins serons nous d’accord que ceci n’est qu’un fantasme et que, à ce titre, c’est à ranger au rayon des doux rêves.
Quel dommage d’y passer, ensuite, tellement de temps …
« Un petit peu d’histoire sur l’œnologie
L’œnologie moderne démarre au XIXème siècle avec les premières études de Pasteur sur la fermentation alcoolique. »

C’est un point de vue.
Mais ce n’est pas le seul et rien n’indique qu’il soit le plus vraisemblable.
Si l’on résume l’œnologie à la microbiologie, alors on peut en effet la faire démarrer avec Louis Pasteur.
Sauf que Pasteur ne comprend pas le rôle des bactéries lactiques, alors pourquoi ne pas faire partir le compteur avec Emile Peynaud et ses travaux sur la Fermentation malolactique (qui n’est pas une fermentation) ?
Si ce n'est que l’œnologie, même qualifiée de « moderne », ne se résume pas à la microbiologie appliquée au vin.
D’ailleurs le mot « œnologie » remonte au XVIIème siècle et, à l’époque, devait être furieusement moderne.
Car « Moderne » ne veut rien dire, sorti d’un contexte donné.
Bref : pourquoi ne pas faire remonter l’œnologie, même moderne, à 1636 avec
Louis Meyssonnier et son : « Œnologie ou discours du vin et de ses excellentes propriétés » (Lyon, 1636), ou bien Edme Béguillet avec : « Œnologie ou Discours sur la meilleure méthode de faire le vin et de cultiver la vigne » (Dijon, 1770).
Encore que le livre X du traité d’Olivier de Serre (« Théâtre de l'Agriculture et mesnage des champs ») soit un tout aussi bon point de départ.
Je passe – pour le moment – les auteurs latins sous silence : car il y a bien trop longtemps qu’ils ont été modernes.

C’est à propos d’œnologie et de Louis Pasteur que je suis réellement, et pour la première fois, tombé de ma chaise :
« Il [Louis Pasteur] y découvrit les mystères de ce processus chimique qui transforme le sucre en alcool puis en composés aromatiques. »
Ben tiens …
« ce processus chimique » ?
Je croyais la question réglée depuis les travaux de Pasteur et la controverse qui s’ensuivit avec Justus von Liebig.
Il semble que je me sois lourdement trompé …
Pourtant, ainsi que Pasteur l’a démontré : la fermentation alcoolique n’est pas un processus chimique, mais bel et bien biologique.
Et ce n’est pas la même chose.
Certes, il a fallu un peu de temps pour que ce soit admis de tous et par la suite on trouvera encore quelques réticences ici ou là.
Par exemple E.J. Maumené qui se débat pour contredire Pasteur dans son : « 
Observations critiques au sujet des « Études sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent ; procédé nouveau pour le conserver et le vieillir » de M. Pasteur, membre de l'Institut » (1866) ou, plus tard, dans : « Comment s'obtient le bon vin. Manuel du vinifacteur » (1894)

Maumené. "Comment s'obtient le bon vin" (1894). Page 23


Cependant il me semblait que depuis le XIXème siècle le débat était tranché en faveur de la biologie, (et même la microbiologie) et non pas la chimie !
En outre j’apprends que ce processus soit disant chimique :
« transforme le sucre en alcool puis en composés aromatiques »
Puis en composés aromatiques ?
Les composés aromatiques seraient donc formés à partir des sucres ?
j’ignorais.
Mais je ne suis œnologue que depuis un peu plus de 20 ans et j’ai dû mal lire l’édition originale du : «
Études sur le vin, ses maladies, causes qui les provoquent. Procédés nouveaux pour le conserver et pour le vieillir » de Louis Pasteur qui dort sur mes étagères. Car je n’ai pas souvenir d’y avoir lu quelque référence que ce soit à cette aimable plaisanterie.
Ni d'ailleurs dans aucun autre écrit (à part celui, désopilant, que je commente en ce moment).
Sur les arômes du vin et leur origine, leur genèse, allez plutôt lire mon dernier article dans « En Magnum #20 », qui est en vente jusqu’à la fin du mois en cours (dépêchez-vous !).


Retour au fantasme :
« Plus tard, dans les années 1970, ce sont les études sur la fermentation malolactique, la maitrise de l’hygiène dans les chais et l’arrivée des composés et des procédés œnologiques en tout genre, qui permettront de pouvoir réaliser des vins, stables et pouvant vieillir, tels que nous les connaissons aujourd’hui. »
En effet le recours à la pharmacopée œnologique, afin d’obtenir (ou au moins d’essayer) des vins stables et pouvant vieillir est (extrêmement) antérieur aux années 1970 ! Prétendre le contraire c’est témoigner d’une ignorance crasse de l’histoire de l’œnologie (c’est ballot quand on prétend traiter ce sujet), ou d’une mauvaise foi abyssale (ce qui est regrettable lorsque l’on annonce vouloir informer les consommateurs).
« Et bien nous pourrions aborder le sujet avec l’invention du méchage des fûts au XVème siècle par les monastères. Fameuse technique utilisée pour nettoyer les barriques avant de recevoir le divin breuvage. »
Et bien non, on ne pourrait pas ! car, encore une fois, ce qui est affirmé est totalement faux.
En effet, si la première trace avérée, légale et argumentée de l’utilisation de soufre remonte bien au XVème siècle (1487 pour être précis), c’est avec un décret prussien qui précise comment et dans quelle quantité maximale on est autorisé à l'utiliser :
- au maximum 16.82 g de soufre pour 860 litres de vin
[soit 18.8 mg de soufre / litre ... ce qui est très faible, peut laisser perplexe et a donc conduit certains commentateurs à penser qu'il y a eu erreur de transcription]
- mélanger soufre pulvérisé, herbes aromatiques et encens [on retrouvera cela plus tard, chez Olivier de Serres]
- y ajouter des copeaux de bois
[c'est donc aussi très probablement la première utilisation officielle de copeaux en œnologie]
- faire brûler le tout dans un fût vide que l'on remplira ensuite.
Il s'agit alors de conserver la fraîcheur et d'éviter le brunissement des vins allemands.

Notons qu’il y a au moins une autre trace, tout aussi avérée mais bien plus ancienne. On la trouve dans le Livre XIV de l’Histoire Naturelle de Pline l'Ancien qui cite Caton dans "De Re Rustica" :
"Caton ordonne de parer les vins en mettant pour un culeus [194 litres] un quarantième de lessive bouillie avec du vin cuit, ou une livre et demie de sel avec du marbre en poudre il fait aussi mention du soufre parlant de la résine qu'en dernier lieu"
Bref il ne s’agit pas des moines et il s’agissait encore moins de nettoyer les barriques.
Tout baigne.
« D’ailleurs, l’église a beaucoup « donné » pour le vin. En charge de la culture du raisin, elle crée par exemple la délimitation des terroirs bourguignons appelée « Clos », qui deviendront ensuite les fameux « climats » que nous connaissons. »
Comment dire …
L’Eglise n’était pas en charge de la culture du raisin. L’église possèdait des vignes, mais elle n’était pas la seule. Bien des profanes cultivaient aussi le raisin.
En outre on parle d’un Clos lorsqu'il y a un mur, un fossé ou une haie qui délimite une parcelle ! un obstacle qui clôt une zone donnée. Et les clos ne sont à l’origine ni de la délimitation des terroirs, ni de celle des climats. Et ce même si certains clos sont aussi des climats.
« Elle [l’Eglise] réinvente aussi l’hybridation des cépages par la greffe (même si l’invention revient au chinois bien avant le Moyen Âge), et de nombreuses techniques viticoles qui n’auront cessé d’améliorer les conditions de culture à la vigne. »
L’hybridation des cépages par la greffe ?
Sérieusement ?
Quel est donc ce nouveau globiboulga ??
La greffe consiste à associer deux organismes différents mais en aucun cas à faire une hybridation ! Quand on hybride deux individus on les mélange. Totalement, ce qui n’a absolument rien à voir avec la greffe !
Pour ce qui est de l’antériorité : la description des techniques de greffe est en effet bien antérieure au Moyen-Age, puisque Caton l’Ancien en décrit certaines dans son « De re rustica ».
Ne lisant pas le chinois j’ai un peu de mal à savoir ce qu’il en est de leur antériorité sur le sujet. Mais pourquoi pas, au point où nous en sommes (et vu ce qui suite) je peux bien admettre ce point sans sourciller …
« L’œnologie continue vers toujours plus d’innovations au chai. Par exemple avec la première trace du vin rouge moderne, le « French Claret ». Nous sommes au XVIIème chez Arnaud III de Pontac, ancien propriétaire du château Haut-Brion. Nous lui devons donc les premières extractions, offrant couleur au vin rouge, quelle avancée pour l’œnologie ! Puis un siècle plus tard et ce sont les premières mises en bouteille par un certain Marquis de Rochegude, en vallée du Rhône sud… »
Encore raté. C’est vraiment ballot.
Si Arnaud de Pontac a en effet développé le « French Claret » on trouve des traces bien antérieures de vinification en rouge, ne serait-ce qu’en France.
Par exemple dans « Coutumes de Beauvaisis » qui mentionne les cépages les plus répandus au XIIIème siècle, et indique que le morillon (dit Pinot en Bourgogne, et Auvernat dans l’Orléanais) est le cépage donnant le meilleur vin rouge (le gouais permettant, quant à lui, d’obtenir le « gros noir » des parisiens).
« Que dire encore une fois des études de Pasteur sur la fermentation, ou enfin l’Homme comprend ce qu’il se passe lors de cette mystérieuse étape de transformation du sucre en alcool. Que dire aussi de l’œnologie moderne, celle tournée vers le productivisme et les produits chimiques. Grâce à eux, les cultures sont plus sécurisées et la nature est presque maitrisée (qui peut se vanter de la maitriser ?), mais à quel prix ? »
Oui. Que dire ? surtout des conneries, je le crains …
« Les intrants œnologiques, un grand développement dans la deuxième partie du XXème siècle »
Pas plus qu’avant mon gars. Pas plus qu’avant !
En revanche c’est beaucoup plus encadré et, l’air de rien, transparent. Si, si.
« Un composé œnologique est un produit, appelé intrant, crée par l’homme et ajouté dans le mout lors de la vinification. Comme dans l’industrie agroalimentaire et quel que soit le type d’agriculture utilisé par le vigneron, [conventionnelle, biologique et biodynamique] les intrants existent, sont utilisés et accompagnent le maitre de chai dans l’élaboration de ses cuvées. »
Ben non.
De façon plus si étonnante ce qui est dit est, à nouveau, faux.
Vous je ne sais pas mais moi çà commence à me fatiguer cette vilaine habitude de dire absolument n’importe quoi.
En effet : un composé œnologique n’est pas nécessairement un produit créé par l’homme (voir la bentonite, les levures fermentaires, l’albumine d’œuf, l’acide tartrique, la gomme arabique, etc…), ce n’est pas non plus obligatoirement un intrant (toujours la bentonite, et tant d’autres) et ce n’est pas toujours ajouté pendant la vinification (par exemple le SO2 pendant l’élevage ou avant mise en bouteille, ou les produits de collage).
« Il existe deux catégories d’intrants œnologiques. Le premier laissant des traces après transformation, appelé additif, et le deuxième qui n’en laissent pas, appelé auxiliaire technologique. Autrement dit, l’additif est toujours visible dans les analyses laboratoires, l’autre pas. »
Comment dire … ben non.
C’est faux.
Exemples :
- on peut ajouter de l’acide tartrique. Il restera dans le vin, c’est donc un additif. Mais il y a déjà de l’acide tartrique dans le vin, c’est même son acide principal. En conséquence, si on ajoute de l’acide tartrique : bien malin qui fera la différence entre l’acide tartrique natif et celui qui a été ajouté.
- on peut avoir recours à des levures sélectionnées. Ce sont des auxiliaires qui meurent après avoir transformé le sucre en alcool. Elles sont éliminées par soutirage et ne sont donc pas constitutives du vin (encore que certains producteurs aient des lies de levures en fond de bouteille, je pense par exemple à deux méthodes gaillacoise que j’affectionne). Pour autant on ne peut pas totalement exclure qu’une partie de leur ADN reste dans le vin et que, dès lors, une PCR (certes bien trapue) permette d’établir que ces levures ont été utilisées.
Mais je reste sur le sujet des levures puisque, plus loin, on trouve ceci à leur sujet :
« Deuxième star, les levures exogènes, émanant elles aussi des laboratoires. Ce sont des levures sélectionnées sur le terrain, travaillées puis hybridées (pour certaines), que le vigneron utilisera lors de la fermentation, le plus souvent pour la sécuriser. Nombreux sont les vignerons utilisant ces levures car elles permettent une fermentation plus rapide et homogène, bien qu’elles enlèvent un bout de terroir, de millésime et de complexité au vin. Les levures sont des auxiliaires technologiquespuisqu’elles ne laissent aucunes traces dans les analyses laboratoires. »
Je ne sais pas bien ce qu’il entend par « travailler » et ne suis pas convaincu que lui-même le sache. J’imagine que c’est là pour un quelconque pouvoir anxiogène ?
Quoiqu'il en soit de l'intenion, j’apprends que les levures « enlèvent un bout de terroir, de millésime et de complexité au vin ».
C’est GRAVEMENT con et totalement infondé ce genre d’affirmation péremptoire.
D’une insondable bêtise.
Je suis œnologue depuis un peu plus de 20 ans et m’intéresse de près à la microbiologie du vin avant même d’avoir été diplômé. J’ai, en outre une bibliographie – ancienne mais aussi récente – qui se penche sur ce sujet et ce qui s’en dit à l’issue de diverses études. Rien, R-I-E-N, ne permet de donner le moindre crédit à cette affirmation d’une rare crétinerie.
En conséquence de quoi je suis extrêmement curieux et impatient de savoir ce qui la fonde ...
Mais, à la toute fin, on trouve ceci qui est sdans doute LA réponse à mes remarques et mes réserves :
« Il existe des centaines d’intrants œnologiques disponibles pour accompagner le vin. Le problème n’est pas leur utilisation mais plutôt le fait qu’ils soient cachés au consommateur, révélant un cruel manque de transparence dans le monde viticole… D’ailleurs et pour voir ce qu’il se cache dans votre bouteille, RDV sur notre liste des vins. »
OK.
Selon toute probabilité ce long enfumage anxiogène n’avait donc pour but que de donner des leçons de vertu afin de développer son petit commerce.
Business as usual