Toujours inapparents nous sommes. Ce que nous sommes
Ne peut passer ni dans un mot ni dans un livre.
Notre âme infiniment se trouve loin de nous.
Nous avons beau doter nos pensées du vouloir
D’être notre âme et d’en manifester le geste.
Nos cœurs n’en sont pas moins tout incommunicables.
Dans ce que nous montrons nous sommes méconnus.
Ni ruse de pensée ni feinte d’apparence
N’est un pont sur l’abîme entre une âme et une âme.
Vers notre être profond nous sommes les sans-ponts
Voulant pourtant clamer à leur pensée leur être.
Nous sommes nos rêves de nous, des lueurs d’âme,
Chacun est pour autrui rêves d’autrui rêvés.
*
Whether we write or speak or do but look
We are ever unapparent. What we are
Cannot be transfused into word or book,
Our soul from us is infinitely far.
However much we give our thoughts the will
To be our soul and gesture it abroad,
Our hearts are incommunicable still.
In what we show ourselves we are ignored.
The abyss from soul to soul cannot be bridged
By any skill of thought or trick of seeming.
Unto our very selves we are abridged
When we would utter to our thought our being.
We are our dreams of ourselves souls by gleams,
And each to each other dreams of others’ dreams.
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Fernando Pessoa (1888-1935) – 35 Sonnets (1918) – Trente-cinq sonnets anglais – Le Violon enchanté, tome VIII (Christian Bourgois, 1992) – Traduction d’Olivier Amiel, Dominique Goy-Blanquet et Patrick Quillier.