Au moins autant que ses qualités propres, la qualité de ses campagnes publicitaires a beaucoup fait pour la popularité de la marque, et son inscription durable dans l‘imaginaire national : pendant trois générations, la petite histoire de la gaine Scandale, emblème de l’élégance et de l’impertinence française, recoupe en bien des points la grande.
Construite dans la durée par certains des meilleurs illustrateurs du temps, son iconographie mérite bien une rétrospective.
La période d’Avant-Guerre
Des bas sans caoutchouc à la gaine en tulle française
Une préhistoire médicale
Occulta, Bas-Varices élégant sans caoutchouc, 1926
En 1923, Ernest Rat, né en 1897 à Genève, fonde la société Occulta, spécialisée dans la fabrication de bas à varices et de corsets et localisée rue Mercière à Lyon. Les toutes premières publicités, bien modestes, baignent dans l’esthétique médicale.
L’arrivée de Robert Perrier
Les varices disparaissent avec le bas Occulta
En 1928, Occulta devient SA Occulta, société d’accessoires pharmaceutiques dont le produit-phare reste le bas à varices. L’usine est installée à La Croix-Rousse au 38 rue Gorjus. Robert Perrier devient PDG en 1929.
Les publicités ciblent désormais la femme moderne, sportive ou oisive, dans une géométrie de cercles et de compas qui rattrapent l’esprit art déco…
Le bas à varices moderne, 1929
…tout en faisant un clin d’oeil à celui de l’ésotérisme.
La gaine Bolastex
SA Occulta commence à donner des noms à ses différents modèles, en insistant sur leur caractéristique innovante : tissés en fil de latex, une fibre nouvelle venue d’outre-atlantique.
La gaine Scandale
En 1933, SA Occulta rachète la marque Scandale à la société suisse Bresa (pour 1 Fr symbolique)
En tulle élastique lavable
Robert Perrier lance le modèle Scandale avec une photographie fracassante, seins nus : audace qui ne se renouvellera pas l’année suivante.
L’essentiel des publicités reste, comme pour toutes les autres marques de lingerie de l »époque, basé sur la photographie. Un illustrateur anonyme intervient pour cette communication sur la maison-mère…
…mais la marque OCCULTA s’efface devant le produit dominant, qui se décline en une gamme de modèles.
La période M.S de Saint Marc
Illustrateur M.S de Saint Marc
A partir de 1934, un illustrateur dont on ne sait rien tente de donner une identité graphique à la marque, l’effet de négatif faisant ressortir la blancheur de l’innovation tout en flattant son côté occulte.
L’année suivante, l’attention monte vers un nouveau produit : le soutien-gorge assorti.
Le triomphe commercial
En 1937, la marque, qui a atteint une reconnaissance nationale, commence à s’internationaliser.
Juste avant la guerre, ces deux publicités portent en germe trois éléments constitutifs de l’identité visuelle de la marque, mais qui ne seront pleinement exploités que bien plus tard :
- le slogan entêté, « Je veux une Scandale » entérine la transformation du nom propre en nom commun ;
- le tracé sinueux évoque l’initiale S ;
- la couleur rouge s’introduit à la faveur du patriotisme de l’époque.
La seconde guerre mondiale
La période Starr
Juste avant le désastre, l’illustrateur Starr remonte le moral des troupes avec cette quadrilogie spectaculaire, mêlant photographie et dessin, où les vertus animales de la femme française vantent celles même de la Nation.
Illustrateur Starr, Marie-Claire, Gallica
Cette autre trilogie de Starr symbolise les trois grands moments de l’année :
- un dernier instant de caprice ;
- la rentrée après la débâcle ;
- un nouveau succès à l’export.
Le patriotisme se réfugie discrètement dans le bandeau de deuil, « la gaine française en tulle français« , et dans les couleurs rouge (pour le temps de l’épreuve) et bleu (pour le temps du commerce).
En 1941, Scandale communique sur sa résistance aux restrictions....
La femme française maintient ses traditions d’élégance et de goût
1941, Illustrateur M.S de Saint Marc, hprints.com
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..et sur son combat, au milieu des temps difficiles, pour sauvegarder l’essentiel….
Non, non, non je n’en veux pas d’autre, je veux une Scandale,
1944, illustration Raymond de Lavererie, hprints.com
…à savoir la vocation suprématiste de la marque. Car dès la Libération, le slogan entêté réapparaît sur le mode humoristique, dans une explosion joyeuse en rouge, blanc et noir qui va devenir, un peu plus tard, la charte visuelle de la marque.
Un statut officiel sous la Quatrième
1946-50 : la période Facon Marrec
Une célébrité encombrante
En octobre 1946, la célèbre gaine symbolise, bien involontairement, les multiples scandales qui entachent la naissance de la Quatrième République (le référendum qui l’institue date du 13 octobre 1946).
1946, Illustrateur Charles Lemmel, hprints.com
La marque abandonne définitivement ses prétentions cocardières pour un quart d’heure américain.
La bonne femme en X
Mais moi j’ai une gaine Scandale, 1948, illustrateur Jean Facon Marrec
Après quelques errements esthétisants, Scandale trouve, avec Jean Facon Marrec, un emblème simple et efficace : la bonne femme en X, comble de la taille fine et antithèse amusante du bonhomme Michelin. Cette apparition coïncide avec l’effacement définitif des origines médicales et provinciales : en 1948, SA Occulta se transforme en « La Gaine Scandale SA ».
Avec cette campagne de prestige, la marque se place sous l’égide des reines de France venues de l’étranger, manière habile de souligner le caractère désormais international de son attraction.
Mais moi, j’ai une gaine Scandale, 1949, illustrateur Jean Facon Marrec
Ayant délivré leur message, les reines s’éclipsent et laissent la silhouette explosive, accompagnée de sa charte graphique surpuissante, symboliser la femme moderne.
Je porte, vous portez, nous portons toutes la gaine Scandale
Imitant les codes de la propagande rouge, la femme en X s’essaye à l’assertion auto-réalisatrice.
…parce qu’elle ne me gêne pas
…parce qu’elle est inusable
…parce qu’elle est la mieux étudiée
Je préfère Scandale…, 1950, Illustrateur Charles Lemmel, hprints.com
Mais dans le même temps, la marque prudente garde encore au feu le glamour à l’américaine…
1950, Illustrateur Georges Lepape, hprints.com
…ou encore la stylisation sinueuse avec Georges Lepape, gloire de l’art déco, qui invente ici un graphisme très déconcertant (on dirait du Manara vingt ans plus tôt).
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