Certaines façons de faire ou de voir distinguent Paul Biya de la plupart de ses homologues.
Les camerounais ont encore fort à faire, pour déchiffrer le code Biya.
Jamais en tenue du RDPC
Les militants du Rassemblement démocratique du peuple camerounais verront ici une provocation, pourtant les faits sont patents. A l’inverse de son épouse qui arbore régulièrement des modèles cousus dans le pagne du RDPC et d’autres pagnes de circonstance (8 mars par exemple), le président national du RDPC n’a presque jamais été vu en public en tenue de son parti. De mémoire de reporter, nous avouons l’avoir vu, coincé dans un gigantesque embouteillage au carrefour Mvog-Mbi à Yaoundé, le soir de la clôture de la campagne électorale pour l’élection présidentielle qu’il remporta. Ce soir-là, les populations de ce quartier l’ayant reconnu par la vitre baissée d’une voiture noire encadrée par une escorte très légère, avaient envahi la chaussée pour saluer « le seul bon choix ». Malgré la détermination de quelques éléments de sa sécurité qui l’accompagnaient dans cette « fugue », aidés par les deux ou trois policiers commis à la circulation routière et partagés entre la surprise et l’angoisse, le cortège de Paul Biya fut englouti par la foule. Seule solution : sortir du véhicule présidentiel et faire un bain de foule risqué, pour détourner la cohue. Ce qu’il fit. On vit alors Paul Biya en chemisette blanche portant son effigie, pour la première et la dernière fois. Pendant longtemps, certaines de ses créatures et assujettis porteront plutôt le pagne blanc à l’effigie de Paul Biya, au lieu de la tenue du parti. Pour montrer leur fidélité au président national.
Ne connaît que très peu de ses ministres
Des témoins proches du protocole d’Etat, et des hauteurs de la République, affirment que certains ministres sont nommés puis ressortent du gouvernement, sans avoir été en tête à tête même une seule fois avec le président de la République. Cela est corroboré par les témoignages de l’ancien secrétaire général de la Présidence de la République, Marafa Amidou Yaya. Cet ancien proche et sans doute confident de Paul Biya révélait, dans une de ses célèbres sorties épistolaires, ce que Paul Biya lui avait confié à propos du Gouvernement. « Vous n’êtes que quatre ou cinq ministres. Le reste, ce sont des gens à qui j’ai donné le titre de ministre. » Ainsi, ils ne sont que quatre ou cinq. Le reste, il ne connaît pas. Peut-être même qu’il ne connaît ni la date de nomination de certains, ni la date de leurs départs d’une équipe gouvernementale (Mdr). Une anecdote raconte qu’il fût surpris de voir un de ses anciens collaborateurs du temps où il était premier ministre, nommé des années plus tard ambassadeur dans un pays d’Afrique par lui-même, il n’était pas à son poste diplomatique alors qu’il devait se rendre dans ce pays. En fait, informé pas ses collaborateurs de l’absence d’un ambassadeur du Cameroun dans ce pays depuis quelques années, il demandait où était passé l’ambassadeur. Avec hésitation, un conseiller lui apprendra que l’ambassadeur était depuis ministre au pays deux années. Il ordonna le retour immédiat de l’ambassadeur dans son poste et sa sortie du Gouvernement. Il y a plein d’anecdotes dans ce registre.
A horreur des conseils de ministres !
Cette particularité mérite, elle aussi, de faire l’objet d’une thèse de doctorat. Le titre pourrait être : « la rareté ou l’inutilité des conseils de ministres en Afrique : le cas du Cameroun ». Alors que cette assise est une pratique institutionnelle, hebdomadaire ou régulière dans la plupart des Républiques, elle est un grand événement national au Cameroun. Elle se passe parfois une fois par an et mobilise toute la presse publique pendant des jours dans les tranches d’informations. On a même vécu des émissions spéciales à la radio et à la télévision d’Etat suite à la tenue d’un conseil de ministres au palais de l’Unité. Les grands professeurs, docteurs et autres spécialistes, venaient alors expliquer ce très important acte présidentiel pendant des heures. Ceci même quand le conseil de ministres n’aura duré que des minutes.
Des absences remarquées dans des deuils
Sauf pour quelques très rares privilégiés, Paul Biya n’a pas souvent honoré par sa présence la mémoire d’illustres personnalités politiques, historiques ou culturelles de la République. On peut aisément les citer, ceux qui ont bénéficié de l’illustre présence de Paul Biya à leurs obsèques. De même, hors du Cameroun il est très rarement à des cérémonies de deuil de personnalités. Saint Jean-Paul II, Omar Bongo, deux ou trois éminences mondiales ont eu cet honneur, mais pas Nelson Mandela, François Mitterrand pour ne citer que ces ceux-là. A l’international, même quand tous les présidents et têtes couronnées du monde accourent rendre un dernier hommage à un dignitaire du monde, Paul Biya du Cameroun est soit absent soit tout simplement représenté à un niveau.
Il vide les routes quand il passe
Les chefs d’Etats d’Afrique aiment être aux contacts de leurs peuples, à se faire ovationner quand ils passent leurs cortèges dans les rues de leurs capitales. Paul Biya ne veut voir personne, pas un chat sur le tronçon qu’il emprunte pour aller ou venir de son palais à l’aéroport de Nsimalen ou dans son village natal. Les routes, barrées trois heures avant son passage, doivent être vides et les curieux sont tenus à bonne distance par des éléments de la Garde présidentielle nerveux comme cerbères. Ceux qui vont à leurs occupations doivent faire des kilomètres à pieds sous le soleil de la capitale, aucune voiture ne devant circuler. Boutiques, grands magasins et bureaux sont fermés pendant des heures et malheur à ceux qui habitent le long du trajet. Seuls les bacs à ordure géants de la capitale ont le droit de rester sur les trottoirs quand le cortège présidentiel passe à tombeau ouvert. C’est surement le seul président africain qui n’est pas applaudi par les populations à son passage.
Il ne donne presque pas d’interview
Paul Biya semble ne pas se sentir trop à l’aise avec les médias camerounais. En trente-huit années de pouvoir, il n’aura donné qu’une seule grande interview exclusive à la télévision d’Etat (celle avec Éric Chinché) il y a plus de vingt ans. La presse privée camerounaise, tous médias confondus, n’a presque jamais eu l’honneur d’une interview du Président de la République dans les genres auxquels on assiste ailleurs, en Afrique et plus loin. Cette distance envers les médias locaux n’a rien à voir avec une thèse de doctorat soutenu par un célèbre journaliste camerounais sur le sujet « les silences du président ».
Il préfère travailler avec des vieillards !
Il y a quelques années, le magazine panafricain Jeune Afrique titrait « Cameroun : le péril vieux. » L’enquête avait causé un tollé retentissant chez les « créatures » de Paul Biya. Les médias d’Etat s’étaient mobilisés, pendant des jours, pour déconstruire le magazine panafricain. Pourtant il est difficile de ne pas voir que les cinq plus hautes personnalités de l’Etat au Cameroun, dans l’ordre protocolaire, ont au moins 75 ans. Sauf le premier ministre ( chief Joseph Dion Ngute): « La force de l’expérience ».