Refuge de ses 16 ans

Samedi dernier, à 4 amis, on s'est vécu un petit moment de grâce. 

Premièrement, un 7 novembre, il a fait un étonnant 20 degrés, au Québec. Nous étions dans le Nord. Et aux pieds du Mont St-Sauveur, il y avait à la fois des skieurs descendant l'unique pente, mais aussi pleins de gars en bermudas et de femmes en cuisses. C'était l'été en automne. On a pas réalisé tout de suite qu'on baignait dans un état de grâce. 

On a erré dans une boutique très justement appelée Le Shack à Bière et qui contenait des tonnes et des tonnes de bières artisanales de chez nous et de toutes sortes. Avec les images des rues des États-Unis qui nous montraient des gens célébrant la victoire du bien, celle de Joe Biden, comme si on avait annoncé la fin de la guerre, avec les commentateurs qui fondaient en larmes de joie, nous étions nous-mêmes, inconsciemment euphoriques et notre présence dans une boutique spécialisée en bières, alors qu'on constatait qu'on en avait peut-être pas apporté assez pour le week-end entre amis au condo, on se sentait absolument comme des enfants dans un magasin de jouets. J'ai été raisonnable , étant davantage whisky, et je n'ai acheté que 3 bières (17$ quand même). Une blonde Stadacona, une autre blonde Loop Milkshake à l'orange et une dernière blanche à l'orange, je ne me rappelle plus la maison de brasse. À boire en soirée. Traversant la rue principale au risque de notre vie, on ne se doutait pas qu'un ainé ferait la même chose trois heures plus tard, au même endroit et lutterait pour en survivre une fois frappé par une voiture. 
Ostie qu'y en a des machines à St-Sauveur. Les machines puent. Les machines tuent. 

Mais on était d'humeur. De la bonne. On sortait tous de semaines de parfaits mongols. L'amoureuse se tapait du 12 heures au moins 4 fois la semaine dernière. Moi je me pétais la cheville mardi, et malgré tout, j'étais forcé sur la route vendredi quand même, boîtant comme un bossu. Et la tension au travail devenait assez intense. J'essaie de ne pas vous en parler. Entre le broche à foin, la république de bananes et le professionnellement questionnable. 

Nos amis de Québec avaient aussi besoin de débrancher leurs vies de semaines. Notre week-end au condo, du bain chaud au resto trop cher, qui nous as fait oublier que c'était trop cher, tellement on était bien, a été parfait. On a tous regretté de ne pas avoir pris lundi de congé. Et Joe "Robinette" qui gagnait au "compte-goutte" sa présidence en sourdine...(l'avez vous pognée?...) ça a rendu le sourire facile.

On était invincibles, comme quand on avait 16 ans. Et comme quand on avait 16 ans, au moment de décanter, tard en soirée, à la télévision, est passé une petit trésor. Sur ArtTv. On l'a pogné pas mal au début. 

"Je me demande c'est quoi le film avec une jeune Jean-Marc Barr, et...Rosanna Arquette? dans la vingtaine? donc c'est un film des années 80, forcément..." que j'ai dit.

"Il est beau Jean-Marc Barr, dans quoi il a joué?" a dit l'amoureuse.

"Dans Le Grand Bleu...je sais plus trop dans quoi ensuite, je pense je ne l'ai que vu dans Le Grand Bleu."

"Il n'a pas beaucoup de cheveux, il sera chauve" a dit la belle.

"Il l'est", je lui ai montré sa face aujourd'hui.

"Oh!... il est encore beau" a t-elle conclu après la première stupeur. Mais la photo confirmait aussi que le film était bien d'il y a plus de 30 ans. Et la trame sonore qui distillait ses sons de temps à autres, me confirmait les synthés des années 80. Googlant Jean-Marc Barr/ Rosanna Arquette, c'est bien Le Grand Bleu qu'on était en train de revisiter. 

Enfin, moi revisiter et ma conjointe de découvrir. 

Je l'avais déjà vu et beaucoup aimé. J'était content de le réécouter. J'ai aimé Luc Besson le temps de deux films. Subway et Le Grand Bleu. Les deux premiers films qui nous l'ont fait connaître, en Amérique. Ensuite, j'ai toujours trouvé qu'il tournait des films pour ti gars de 16 ans. Avec succès, mais avec continuellement le tempérament d'un petit gars de 16 ans. Ça ne me rejoignait plus du tout, dès La Femme Nikita.  Je ne crois même pas avoir tenté l'effort de voir du Besson à nouveau par la suite. Je pense avoir vu Valerian et la Cité des Milles Planètes dans un avion. Mais c'était parce que je n'avais pas le choix. Et j'ai pas été tellement attentif. Par désintétêt.

Je ne sais pas comment j'avais fait pour oublier que Rosanna Arquette était de la distribution du Grand Bleu. J'ai pourtant une grande admiration pour cette survivante. Elle était parmi les premières qui ont décrié et repoussé les gestes sexuels déplacés du producteur Harvey Weinstein. Personne ne l'avait écoutée. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle s'était tourné vers l'Europe pour sa carrière, à 29 ans. Ce qui avait eu pour conséquences que Weinstein, la plaçait dans un film d'importance pour la dernière fois en 1993, dans Pulp Fiction, mais s'assurait non seulement personnellement qu'elle soit la moins payée des acteurs choisis, mais aussi l'une des moins visibles au montage final et par la suite, tout simplement supprimée des actrices de la liste A, à choisir pour de futurs projets Hollywoodiens. Rosanna est une naufragée de pervers. Une cicatrisée, Respect. 
Le temps lui a donné raison, mais le temps est autant un luxe qu'une pute et sa carrière est morte ou presque entre 1994 et nos jours. Dans la version française qu'on écoutait, on lui avait donné un affreux accent franco-anglais à la Jane Birkin. J'ai resavouré le film inattendu comme on le faisait en tombant sur Five Easy Pieces ou The Conversation, quand on avait 16 ans, sur Télé-Québec, vers 3h du matin, en revenant d'une soirée de brosse. Après la poutine.

Le film s'inspire librement des vrais plongeurs en apnée Jacques Mayol et Enzo Maoirca. Et j'avais aussi oublié que dans le film, à un certain moment, les deux rivalisent afin de savoir qui tient le plus longtemps sous l'eau, sans respirer. 

Je n'avais retenu que les planantes plongées vers le fond et le fait que Jacques préfère les dauphins sous-marins aux gens de la terre. J'avais aimé ce que le film m'avait fait resentir. Je me rappelais la trame sonore, aujourd'hui un peu datée, mais pour l'époque, parfaite. Elle a d'ailleurs été Césarisée en France, ce que les États-Unis ont compris comme "faudra changer la musique" puisqu'ils ont remplacé la musique d'Eric Serra par celle de Bill Conti.* Je ne sais même pas celle que j'ai entendue et aimée. Je n'avais pas retenu l'idée puérile de tenir le plus longtemps possible sous l'eau sans équipement. Que c'était juvénile! Que c'était 16 ans! 
Puis, je me suis rappelé qu'en 1988...

J'avais 16 ans!| (Je l'ai toutefois probablement vu, un a ou deux plus tard, dans la nuit, à la télé). Et pour Subway, que j'avais aussi beaucoup aimé, ou un autre homme, trouve refuge, non pas sous l'eau cette fois, mais sous terre, dans une bouche de métro, j'avais 13 ans (vu à la télé dans la nuit probablement vers 15-16 ans). 

Le cinéma est le refuge des 16 ans de Luc Besson. Le sous-sol chez mes parents, au même âge, le mien. 

Les deux fois, entre 1986 et 1990, j'écoutais un jeune Besson (de 26 et 29 ans pour ces deux films), au tempérament de gars de 16 ans, faisant écho fortement à mon moi, entre 15 et 18 ans, dans la nuit sur Télé-Québec, en revenait d'une soirée entre amis bien arrosée. Cette fois dans notre condo, au dessus du foyer, repus, planant encore une fois.

Ça aussi je l'ai revisité samedi soir dernier. 

Ça m'a beaucoup plu.

Parfait mon week-end en a été rendu. 

Avec les États-Unis qui faisaient la fête dans les rues. 

*j'ai réécouté les deux depuis, j'aime les deux, mais ne me rappelle plus laquelle j'ai entendue samedi dernier. Probablement celle de Serra.