La traite des êtres humains[i] comporte trois facteurs : l’acte (la manière dont cela est fait), les moyens (commence cela est fait) et le but (pourquoi cela est fait) : la traite des êtres humains est donc l’exploitation d’êtres humains par l’usage de la force et/ou de la menace par le recrutement à des fins de prostitution, d’exploitation sexuelle, de travail forcé, d’esclavage… Plus spécifiquement, le blanchiment d’enfant est un acte illégal et une catégorie de traite d’êtres humains. Le blanchiment d’enfants fait référence à un acte de vol et de vente d’un enfant à des parents adoptifs sous de faux prétextes, généralement mené par des agences d’adoption ou un facilitateur d’adoption. Il peut alors falsifier un document, cacher ou falsifier les données d’un enfant pour faire de cet enfant légitime à l’adoption. De ce fait, dans certains cas, le système d’adoption peut être comparé à une organisation criminelle[ii] impliquée dans des activités de blanchiment d’argent (obtention illégale d’argent qui est par la suite « blanchi » à travers des affaires légales).
La politique économique du trafic d’enfant
En faisant une analogie de la loi sur le marché d’un blanchiment d’enfant, l’enfant est alors « chosifié » : il y a alors un marché d’enfants à adopter, avec une offre qui est l’enfant à adopter et la demande émanant des futurs parents. Comme constaté dans l’article d’Asif Efrat[iii], le succès d’une adoption se caractérise par un coût de transaction à minima et l’arrivée de l’enfant dans le pays d’accueil. Ainsi, les coûts de transaction sont l’ensemble des coûts concernant les dossiers légaux et administratifs à une adoption comme les dépenses de déplacement vers un pays, les donations à un orphelinat, la durée du processus d’adoption, et l’impact du prix émotionnel sur les parents.
Les coûts de transaction étant déjà élevés, la ratification de la Convention de la Haye a harmonisé la procédure administrative. Une conséquence indirecte est la perte de la vie privée due à l’application de la réglementation de la Convention, qui va permettre aux services d’adoptions d’accéder à tous les dossiers médicaux, psychologiques, etc. Ce sont donc pour ces raisons, que des marchés parallèles ont vu le jour dans les pays hors Convention de la Haye, baissant les coûts de transaction et garantissant l’adoption d’un enfant en un temps limité, d’où le trafic d’enfant qui en découle.
Impact profond sur les droits et procédures internes aux Etats
L’objectif principal de la Convention de la Haye est de protéger l’enfant, respecter les « intérêt[s] supérieur[s] » de ce dernier et prévenir la vente et le trafic d’enfants. Mais la Convention n’est pas signée et ratifiée par de nombreux pays dans les continents africains, asiatiques et dans la région du Moyen-Orient[iv] où la gouvernance, les institutions politiques, et la bureaucratie manquent de pouvoirs et contrepoids (exemples de cas de blanchiment d’enfant pour des adoptions : Cambodge, 2001[v]; Inde, 2003[vi]; Guatemala, 2000[vii]).
De ce fait, même si la Convention de la Haye a réussi à protéger les enfants des pays signataires, les parents qui cherchent à adopter un enfant contournent législation en se dirigeant vers des pays non-signataires où le succès et la rapidité de l’adoption sont plus efficaces. Par conséquent, il est important de combattre une activité criminelle et notamment la traite d’êtres humains, non seulement en ayant une législation commune certes, mais aussi et surtout, en travaillant à la source, en créant une coopération efficace avec les autorités d’un pays non-signataire, des organisations locales, et un réseau de personnes de confiance, dans le cas des orphelinats par exemple.
En signant cette Convention, la France a donné la permission aux Pays-Bas de formater et prendre en main le droit privé international, tout en leur laissant un pouvoir allant au-delà du contrôle politique. Ainsi, le modèle unique de la Convention de la Haye 1993 a modifié en profondeur les droits et procédures internes dans le cadre des adoptions internationales : certains Etats d’accueil, comme la France, ont dû réformer leurs intermédiaires privés, ce qui requiert une attention continue du programme ICATAP (programme d’assistance technique relatif à l’adoption internationale).
Un manque de transparence d’utilisation des fonds
En 2020, il manque clairement de la transparence et responsabilité dans la manière les fonds de la Convention sont utilisés[viii]. Dans le rapport de 2009, la Cour des Comptes[ix] relevait déjà l’insuffisance de pilotage du réseau français des intervenants à l’étranger par l’Agence française de l’adoption (AFA). De plus, la Cour préconisait la mise au point d’un compte-type des frais d’adoption. De la même manière, les « donations obligatoires » aux orphelinats augmentent le transfert d’argent d’un pays d’accueil (qui peut être défini comme « riche ») à un pays d’origine (généralement « pauvre » et avec peu de pouvoirs et contrepoids « checks and balances »), qui ne garantit pas la prise en charge de l’enfant et de ses soins.
De plus, la bureaucratie croissante (et l’attente toujours plus longue) due à la mise en place de la Convention de la Haye incite les parents adoptants à aller outre les pays signataires de la Convention pour se diriger vers des pays où ils peuvent être assurés d’adopter rapidement et à des coûts de transaction finaux moins élevés. Au Cambodge, par exemple, chaque adoption rapportait près de 3.500 dollars par adoption pour une moyenne de 700-800 adoptions par an durant quatre ans, soit 2 millions de dollars à terme, dont le strict minimum a été reversé aux orphelinats.
Paradoxalement, le système d’adoption établi par la Convention de la Haye n’a pas limité le trafic, le kidnapping, et la vente d’achat donc le blanchiment d’enfant. En effet, la transparence sur l’existence des activités criminelles bascule dans le non-dit à cause des incohérences liées à l’application d’une Convention internationale.
Pour conclure, comme dirait James Brierly[x] : « La Loi est bonne pour aider à consolider un ordre social et culturel pour lequel le souhait et la volonté existent déjà, mais elle peut difficilement imposer un ordre autonome à une société encore caractérisée par des affrontements et des conflits. »
Jessica Phung
Notes
[i] Protocole sur la Traite des Personnes, UNODC.
[ii] Buscaglia, Eduardo et Dijk, van Jan. “Controlling Organized Crime and Corruption in the Public Sector.”
[iii] Efrat, Asif et al. (2015) “Babies across Borders: The Political Economy of International Child Adoption.” International Studis Quarterly, doi: 10.1111/isqu.12206 © 2015 International Studies Association.
[iv] Dohle, Arun. “Inside Story of an Adoption Scandal.” 2008.
[v] Smolin, David M. “Child Laundering: How the Intercountry Adoption System Legitimizes and Incentivizes the Practice of Buying, Trafficking, Kidnaping, and Stealing Children.” 2006. pp. 135-145.
[vi] Dohle, Arun. “Inside Story of an Adoption Scandal.” 2008. pp. 146-162.
[vii] Dohle, Arun. “Inside Story of an Adoption Scandal.” 2008. pp. 163-172.
[viii] Smolin, David M. “Child Laundering: How the Intercountry Adoption System Legitimizes and Incentivizes the Practice of Buying, Trafficking, Kidnaping, and Stealing Children.” 2006.
[ix] Cour des Comptes. “L’Organisation de l’Adoption Internationale en France: une Réforme à Poursuivre.” Rapport Public Annuel 2014.
[x] “The General Act of Geneva, 1928”. British Yearbook of International Law, pp. 199-133.
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