Nous commémorons le cinquantième anniversaire de la mort du Général De Gaulle qui prônait une indépendance nationale d'un point de vue militaire, géopolitique et économique (par exemple programme nucléaire). Il avait également lancé en 1966 le Plan Calcul. Aussi, il est intéressant de s'interroger sur l'importance que prend le smartphone dans notre économie et la nécessaire indépendance nationale du point de vue numérique pour ne pas sombrer dans une colonisation des GAFAM déjà bien entamée.
" Un français sur dix vit de l'automobile ", tel était le slogan qui prévalait dans la seconde moitié du XXème siècle. Aujourd'hui avec la nomophobie, qui est la peur d'être séparé de son smartphone, ce dernier est devenu l'objet de la vie de tous les jours, un prolongement de soi pour certaines personnes comme la voiture l'était jadis. La question est de s'interroger sur l'apport du smartphone dans l'économie française et la part tant de la voiture que du smartphone dans le budget d'un ménage.
Le marché de l'automobile est en saturation avec des renouvellements et environ 2 millions de véhicules neufs vendus chaque année en France. Le marché du smartphone quant à lui suscite des renouvellements fréquents avec une forte innovation marketing et des évolutions technologiques. Pour l'iPhone, la version n représente à 90 % une optimisation de la version précédente et 10 % d'innovation. Après avoir atteint 20 millions de ventes en 2015 en France, le marché stagne autour de 17 millions.
Passons en revue les coûts et les questions qui en découlent.Le coût initial
Achat d'un smartphone neuf à 600 euros et à remplacer tous les 2 ans vs achat d'une voiture neuve à 18 000 euros et à changer au bout de 6 ans. Soit 300 euros par an vs 3 000.
L'obsolescence programmée amène à changer fréquemment de portable avec aussi le logiciel très gourmand et des évolutions de systèmes d'exploitation qui nécessitent de changer d'équipement. Si tel n'est pas le cas, le smartphone utilisé et non remplacé "rame" sans compter les vidéos prises par le smartphone qui saturent sa mémoire au fil du temps. De son côté, le contrôle technique pour les voitures incite à changer de voiture du fait d'un coût d'entretien qui progresse au fil des années avec aussi des primes étatiques pour adopter un véhicule électrique... Même si l'autonomie de la batterie et le temps de recharge sont des contraintes opérationnelles fortes avec des goulots d'étranglement prévisibles lors, par exemple, des départs en vacances dans le futur.
Là, nous avons un rapport de 1 à 10. Le rapport est moindre si on considère qu'un foyer est équipé de 1,4 voiture en moyenne et qu'en même temps ce même foyer a 2,1 smartphone en moyenne. Dans ce cas, le prix de la 2e voiture est moins élevée voire achetée d'occasion et le prix du smartphone également, quoique le chef de famille ou les parents peuvent disposer de smartphone professionnels plus sophistiqués que les smartphones personnels.
Les coûts récurrents
Le smartphone - sauf pour les formules avec carte prépayée - demande un abonnement à un opérateur téléphonique. Il est souvent autour de 20 euros par mois (10 la première année, 30 la suivante). A cela s'ajoutent des services additionnels, des dépassements de forfaits, l'éventuelle casse de l'écran (100 euros de réparation quand cela intervient), l'assurance contre le vol, etc. Disons que le budget est de 40 euros par mois.
Pour la voiture les dépenses concernent le carburant, l'entretien et les révisions avec les changements de pneus par exemple, le contrôle technique, l'assurance. On peut tabler sur 600 euros par mois.
Le rapport est à ce niveau de 1 à 15. Il peut être ramené de 1 à 10 avec la remarque précédente pour les coûts initiaux du fait de la mutualisation en partie de la voiture pour le foyer. D'autre part, des offres familiales sont proposées par certains opérateurs de télécoms même si parfois la consommation des adolescents est supérieure à celle des parents.
La valeur résiduelle
Au bout de 2 ans, le smartphone voit sa valeur divisée par 4, soit 150 euros. Pour la voiture, on a une décote moyenne de 15 % par an à moduler selon le type de véhicule, la marque, le kilométrage et de nombreux autres paramètres.
Les questions économiques
Pour le smartphone, nous avons une chaîne de valeur essentiellement asiatico-américaine. Pour le matériel, le smartphone est souvent assemblé en Asie du Sud-Est avec des composants majoritairement d'origine asiatique (par exemple Taïwan avec TSMC). Pour le système d'exploitation, il est américain (Android de Google, iOS d'Apple). Pour le logiciel et les App, nous avons assez peu d'entreprises françaises et européennes avec néanmoins quelques App en bout de chaîne. Enfin pour les données, celles-ci sont souvent stockées sur des datacenters hors Union européenne et les GAFAM happent tout sur leur passage. Néanmoins le smartphone est nécessaire pour tout un pan d'activités de services en France comme la livraison, les transports, les activités autour de la communication.
L'automobile pour sa part alimente toute une chaîne de valeur. Déjà les marques françaises représentent 55 % des immatriculations en France. De nombreux équipementiers sont français (Valeo, Faurecia, etc.). Les intermédiaires (concessionnaires automobiles, Midas, Carglass) sont sources de nombreux emplois en France. Avec aussi l'entretien, le contrôle technique sévérisé tous les 2 ans, les assurances, les pneumatiques (avec notre pépite nationale Michelin), les actes de violence en hausse dans les villes et les banlieues que subissent les voitures et qu'il faut réparer.
En bout de chaîne, l'équivalent des données dans le monde automobile, le carburant (essence ou diesel) avec les stations-services est favorable à la collecte de l'Etat. Ainsi 57 % de taxes alimentent les caisses de l'Etat s'agissant du liquide à la pompe.
L'apport économique pour la France penche franchement du côté de l'automobile.La question écologique
Les aspects pour le climat, la biodiversité, l'épuisement des ressources sont cruciaux. Aussi nous avons le recyclage qui se pose. Celui-ci est plutôt bien appréhendé par l'automobile car cette industrie a près de 140 ans, ce qui a permis à une industrie de décharges et de traitement/récupération des matières premières de se constituer. Ce n'est pas le cas des smartphones même si plus de 50 % des métaux (cuivre, zinc, plomb, or, argent, etc.) sont recyclés. Le smartphone fait appel à des dizaines d'éléments. Ainsi les terres rares sont recyclées à moins de 1 %, ce qui va occasionner des épuisements de ressources critiques dans 1 à 3 générations. On parle de tonne équivalent CO2 pour les émissions de gaz à effet de serre qui ont un effet sur le dérèglement du climat, de kg DEEE pour les déchets électroniques générés qui impactent la biodiversité, de MIPS (mesure de la quantité des matières indispensables par unité de service) et de kg équivalent antimoine pour les ressources dites abitoques du sol et du sous-sol et également de quantité d'eau nécessaire pour la production de composants.
Ainsi pour le MIPS, on a un facteur de 54 pour la production d'une voiture alors qu'il est de 100 pour un ordinateur et de 16 000 pour une puce électronique, ce qui rend la fabrication des puces contraignantes pour la planète. Sans être décliniste, de nouvelles solutions sont à imaginer pour concilier écologie et emplois : sobriété, choix des matériaux avec des propriétés analogues mais moins rares (le silicium avait pour l'informatique remplacé les transistors). Les impacts écologiques sont surtout au niveau de la fabrication pour le smartphone alors qu'ils se situent au niveau de l'utilisation pour l'automobile qui parcourt en moyenne 13 000 km par an (9 000 côté essence, 16 000 côté diesel) en France. Observons que nous avons de plus en plus de composants dans une voiture et que la question du recyclage des batteries Lithium-Ion pour les véhicules électriques est primordiale. Le mix énergétique en France où la production de l'électricité est à 78 % nucléaire évolue dans un sens plus polluant avec davantage d'émissions de CO2 (fermeture de Fessenheim, utilisation d'usines à charbon en remplacement, l'éolien ne représentant que 1 % de la production d'énergie électrique en France). La question du basculement vers le véhicule électrique et la smart city nécessite une réflexion globale avec les pollutions induites et les risques.
De nombreux problèmes sociaux sont liés : le travail des enfants pour l'assemblage des smartphones dans certains pays asiatiques, les conditions de travail des personnes dans certains pays d'Afrique et d'Inde dans les décharges pour le recyclage des éléments au contact de matières dangereuses. En outre ce qui est brûlé pour récupérer les métaux occasionne une pollution des nappes phréatiques (externalité négative dans la récupération des métaux) et des trafics sur les composants comme le coltan en République Démocratique du Congo, etc. sont à déplorer.
Les trois pistes
Nous avons la piste importante de la souveraineté numérique qui a émergé auprès du grand public lors du 1er confinement en mars 2020. Il s'agit d'une nécessité d'être indépendant en matière numérique et ne plus être tributaire pour cette industrie stratégique des Etats-Unis et de la Chine (et plus généralement de l'Asie) et de pouvoir influer favorablement sur la valeur ajoutée, ce qui aura un impact positif sur notre économie et nos emplois. La souveraineté numérique, c'est aussi ne pas être une colonie numérique des GAFAM avec les données notamment personnelles qui sont exploitées souvent contre l'usage gratuit d'un service.
La deuxième piste est le développement d'une industrie du numérique en France et en Europe allant, pourquoi pas, de la fabrication des composants ou de la maîtrise de la sous-traitance au système d'information souverain et aux logiciels et outils avec des clouds européens. Des initiatives comme PlayFrance.digital y participent avec la volonté d'avoir une commande publique auprès d'acteurs européens du numérique. Le parti Objectif France l'a décliné dans le volet numérique (propositions 17 à 19) de son programme. En outre, c'est l'opportunité d'organiser une industrie de recyclage pour les matériaux, les métaux, les terres rares qui composent les smartphones. Et l'organiser de façon respectueuse tant de l'environnement que de la santé des personnes opérant les extractions. Du co-développement peut aussi être imaginé de façon équitable avec des pays d'Afrique.
Enfin la troisième est celle du développement des infrastructures, que ce soit la 5G ou la réduction de la fracture numérique dans les campagnes et les zones d'ombre combinée à l'accompagnement du développement des smart cities ou smart territories et dans le respect de la maîtrise de l'énergie électrique.
Un prolongement...
Les trois France décrites par le Général Pierre de Villiers dans son livre L'équilibre est un courage trouvent un écho dans cette dualité entre automobile et smartphone.
1. France rurale : problème du coût grandissant de l'automobile, ce qui a été l'événement déclencheur des révoltes compréhensibles des Gilets jaunes, problème de réseaux de télécoms et de débits et d'infrastructure dans certains endroits ;
2. France des banlieues : pour une infime partie de la population qui rend infernale la vie à l'écrasante majorité, smartphone pour les guetteurs dans les trafics de stupéfiants notamment avec possession de plusieurs smartphones avec cartes SIMM et BMW Série 3 et grosses Audi par exemple [remarque : il s'agit des territoires perdus de la République que décrit le Général Soubelet] ;
3. France des grandes villes : plus de voiture pour les cols blancs ( 34 % à Paris vs 95 % dans les zones rurales) qui privilégient, pour ceux qui n'ont pas de grande famille, le Uber, les trottinettes électriques et les transports en communs et parallèlement un tout smartphone avec un dénigrement abusif de la voiture qui a pour effet de faire plonger l'économie (cf. Paris et les commerces de proximité, renchérissement des interventions depuis la banlieue pour des artisans, plombiers, et même des livraisons à domicile, difficulté de stationner et coût associé, etc.)
Plus généralement, la question est la comparaison entre le budget smartphone et le budget transport dans son ensemble pour celles et ceux qui ne possèdent pas de voiture et qui ont recours à différentes mobilités avec dans ce cas un coût cumulé (par exemple carte de transport en commun + trajets en train + taxis/Uber + location de voiture, coût d'un vélo et de son utilisation, etc.). En tout état de cause notre très grande dépendance au smartphone ne doit pas s'accompagner d'une part de la valeur ajoutée qui nous échappe. Il est important d'agir dans l'écosystème numérique autour du smartphone et plus largement de l'Internet des objets et de toutes les technologies qui offrent de grandes promesses de services à la clef. Enfin, au-delà de l'automobile qu'elle soit essence/diesel ou électrique, se profile à moyen/long terme l'immense défi technique, économique et écologique du véhicule autonome où, là encore, nous devons répondre présent.