Bien sûr, pour quelques titres disparus ces dernières semaines, la crise sanitaire a donné le coup de grâce que le scandale Presstalis avait déjà amorcé. Mais il serait un peu simple, voire simpliste de tout lui mettre sur le dos. Les causes de ces disparitions sont bien plus profondes. L'évolution de notre société où la culture (ou le culte) de l'instant a pris le pas sur l'analyse et le recul a engendré un nouveau modèle, une nouvelle approche de ce métier.
Aujourd'hui, la disparition de nombreux titres témoigne d'un manque d'adaptation à ces évolutions. Parce que de simples retouches ne suffisent pas à suivre le rythme effréné imposé par nos sociétés. Le salut ne passe plus par l'évolution mais par la révolution. Révolutionner sa façon de faire mais surtout sa façon de penser. Se projeter encore et encore. C'est un des messages rabâché à mes étudiants : "servez-vous de notre expérience, à nous les vieux. Servez-vous en, respectez tout ce qui a été réalisé avec les codes de notre époque, mais bâtissez l'avenir, créez, imaginez, inventez ! Nous et nos méthodes sommes le passé, momentanément le présent mais de moins en moins l'avenir. Alors à vous de jouer !" Au 19e siècle, l'homme politique Adolphe Thiers (à moins que ce ne soit le patron de presse Emile de Girardin... on ne sait pas trop à qui attribuer la paternité de la formule) a dit un jour "gouverner, c'est prévoir. Ne rien prévoir, c'est courir à sa perte". Or aujourd'hui, avoir un coup d'avance ne suffit plus toujours. Mieux vaut en avoir deux ou trois. S'adapter permet de survivre... parfois. Anticiper permet de vivre.
De nouveaux acteurs ont pris le contrôle des médias. Avec leurs méthodes souvent plus radicales, avec une approche nouvelle que ce soit au niveau économique, sociologique et même, soyons fous, philosophique. Heureusement (en tout cas en ce qui me concerne), certains résistent encore et encore. Le succès du numérique pour des titres comme Le Monde par exemple permet d'entretenir l'espoir. Le quotidien a su adapter son côté très "traditionaliste" (au sens propre) de la presse en reprenant les codes égrainés par les réseaux sociaux tout en gardant une profonde expertise et un respect de valeurs que certains voudraient considérer comme surannées. Le suivi "live" (puisqu'on ne dit plus "direct") des élections américaines fut un pur bonheur, un modèle de ce qu'une presse de qualité peut encore offrir.
Ce constat pour la presse écrite vaut aussi pour la télévision où ce qui passait comme novateur il y a encore peu est déjà obsolète pour beaucoup. Les nouveaux formats, plus courts, plus rythmés sont devenus la norme, le "voilà-ce-qu'il-faut-faire". Hors période de confinement, le temps de la réflexion ou de l'analyse est réduit à peau de chagrin. Bien sûr, il y aura toujours des "résistants" tant du côté des producteurs de l'information que de celui des consommateurs. Et fort heureusement. Avec un peu de naïveté peut-être, pouvons-nous même encore nourrir l'espoir que la tendance s'inverse un jour.... ou pas. Mais à l'exception des experts de tout et surtout de rien qui ont annexé les plateaux tv des chaines "d'infos" (les guillemets sont importantes), quels que soient les sujets et qui ont toujours un avis (souvent définitif) sur tout (avis qu'ils changeront en fonction du sens du vent avec toujours la même arrogance), on n'en sait strictement rien... et ça, c'est génial !