On l’a déjà oubliée, l’ambiance qu’il y avait la première fois. En mars, les premiers jours du confinement, il me semble que nous éprouvions une sorte de fascination pour la catastrophe invisible et inédite qui suivait son cours. Je me souviens par exemple que la première image qui m’était venue alors, c’était cette scène dans la série Tchernobyl où les gens contemplent le brasier nucléaire sans toutefois intégrer la dangerosité diaphane des radiations.
En novembre, c’est plus pareil. L’être humain est décidément un animal étonnant. La première fois il se fascine, la seconde fois il se lasse. Ou bien est-ce mon esprit seul, que je sais incapable de faire deux fois la même chose ? Ce deuxième confinement me fatigue pour des raisons pratiques mais aussi pour des raisons heuristiques. Peut-être que c’est comme le saut à l’élastique. A n’expérimenter qu’une fois !
Malgré tout il faut bien s’occuper. Pour ma part, je vous partage quelques préoccupations personnelles et professionnelles :
- Oui je me lance : Animer le tiers-lieu à Soisy-sur-Seine avec la coopérative. Il y avait une super ambiance de rentrée mais là je vois bien que pas mal de copains sont sérieusement en train de se demander combien de temps va durer la mise en parenthèse de leurs activités. Ateliers, évènements, formations… tout est annulé.
Je m’étais pour ma part inscrit à une super formation « design énergétique et inconfort thermique » pour tester en vrai la baignade glacée à Chambéry en Décembre. - eco-Sapiens : vous ai-je dit que le site est désormais entre de bonnes mains. J’aimerais simplement organiser une belle assemblée générale de clôture pour remercier tous les sociétaires de la SCOP qui ont participé à l’aventure il y a 14 ans !
- Professeur à la fac : je donne deux TD en master à la fac d’Evry. C’est ma dernière année où j’ai pu transmettre le virus coopératif avec ce message clé : « l’argent n’est pas une fin, mais un moyen »
- Professeur à l’école d’ingénieurs : ça c’est nouveau et je me réjouis peu à l’idée de donner un premier cours type « amphi » en visio. D’autant que j’aborde un sujet qui me passionne mais sans trop savoir où je vais : la sobriété numérique. Je sais au moins que je pourrais reprendre cette belle formule négaWatt : « nous n’avons pas besoin d’énergie, nous avons besoins de services qui peuvent être rendus par l’énergie« .
- Activités associatives : notre club sportif comporte une centaine d’adhérents tous privés de cours divers (arts martiaux, gym douce, qi qong…) Heureusement les professeurs sont motivés pour tenter de la visio. Se pose alors la question de l’outil et de la prise en main. Zoom coupe au bout de 40 minutes et je n’aime pas les solutions propriétaires. J’essaie des instances jitsi et même talk sur nextcloud. C’est là où je réalise qu’en 10 ans rien n’a vraiment été fait pour rendre autonome les structures. Moi qui ai une approche « radin-frugal-sobre-décroissant » je réalise que je fais partie des happy few. Et je remercie au passage Infomaniak qui permet tout cela et me semble un peu dans le même état d’esprit.
- Activités pour nourrir l’esprit : j’ai enfin pu lire un exemplaire de la légendaire revue « La Hulotte ». Il va me falloir les avaler d’un coup (binge reading…)
Je suis aussi tomber sur un vieux magazine signé Cavanna intitulé « le saviez-vous ? »
Décidément en 1974, les idées étaient plus vives, plus incisives, plus drôles.
On y trouve un florilège de considérations absurdes comme une sorte d’anti-Sénèque :
Aussi grand que soit un trou, il y a toujours quelque chose autour.
Le seul autre animal au monde, qui comme le chameau, soit capable de traverser le désert sans emporter à boire est la puce du chameau.
La Terre exécute en vingt quatre heures un tour complet autour d’un axe imaginaire. A la voir on ne croirait jamais que la Terre est douée d’une aussi riche imagination.
Mais ce qui m’a décidé à reprendre la plume après tout ce ce temps, c’est mon petit déjeuner du matin. Un petit déjeuner initié par Gildas de Sidiese qui permet d’échanger avec quelques responsables « pollueur wanted« . C’est d’ailleurs avec ce genre de petit déj que j’avais ferraillé avec le DG de Nespresso. J’avais raconté dans un billet intitulé « Nespresso, prison et décroissance »que les alliés ne sont pas toujours là où on croit, que le monde est très souvent gris.
Cette fois c’était le DG de Citeo, anciennement « eco-emballages » qu’avec eco-sapiens nous avions en leur temps épinglés (sigle point vert, paradis fiscaux…). Avant c’était le CNIID qui leur tapait dessus; eux aussi ont changé de nom et s’appellent ZeroWaste (et ils continuent de faire du très bon boulot).
Je n’ai pas le temps de rentrer dans le cœur du sujet « déchets » mais j’ai trouvé pas mal de similarités avec le monde de l’énergie. A savoir que chez négaWatt, nous avons le fameux triptyque : « Sobriété, Efficacité, Renouvelables« . Et que pour les déchets on a l’équivalent « Réduire, Réutiliser, Recycler« . C’est la règle des 3R. Et qu’une fois que tout le monde est d’accord pour réduire, eh bien l’on s’empresse de discuter sur le reste, car c’est là où c’est stimulant en ingénierie, … mais on rate bien l’essentiel !
Et puis, en déchets ou en énergie, il y a le sujet à trolls, la bête noire. Dans l’énergie c’est le nucléaire qui « représente 2% de l’énergie dans le monde, mais 90% du débat ». Dans les déchets c’est le plastique. Il est partout, précipitant même un septième continent dans le Pacifique. Et on se creuse la tête pour savoir comment le recycler ce plastique avec ses blasons PET, PS, PVC, PP, PBA et compagnie sans que le béotien sache si au final « ça va dans la poubelle jaune ? »
Et quand on lit le rapport CITEO qui fanfaronne avec 70% de taux de recyclabilité, on masque celui du plastique qui est de moins de 30%. En fait, heureusement qu’il y a le verre (invention -5000 ans) et le carton (invention en 1751) pour sauver les apparences d’une performance dans le monde du recyclage.
OK, c’est facile de critiquer. Que proposer alors ? Et nous voici dans l’affreuse complexité du monde moderne où les 4 acteurs : l’Etat/Europe, les collectivités, les entreprises, les citoyens/consommateurs attendent que chacun fasse le premier pas. Au nom de l’économie, on ne veut pas embêter les marchands avec des interdictions pures et simples. Remettre la consigne ? Mais vous n’y pensez pas, il y a toute une logistique à penser ! Qui va payer ?
Parfois, à regarder mon propre parcours, je réalise que si j’ai toujours eu une certaine allergie à travailler avec un grand groupe, c’est la peur justement d’être dépassé par une inertie systémique. En vrai, je n’aimerais pas être Président de la République. On doit avoir le sentiment d’être tout puissant, mais finalement éprouver quotidiennement une frustration de voir que rien ne se met en mouvement. Vous vous souvenez qu’il y avait une réforme des retraites qui devait arriver l’année dernière ?
Ou alors il faut un gros grain de sable, par exemple un virus. Et là d’un coup, ce qui semblait impossible la veille (le télétravail, la fermeture prolongée des commerces, l’argent magique…) se met en place en quelques jours.
Ah mince, ça aussi j’en ai déjà parlé !