Derrière la maison où je réside en ce moment, il y a bois, juste assez grand pour être qualifié de forêt par une citadine en goguette de ma trempe. L’automne s’installe tranquillement, jaune et doré, carbonisé maronnasse en raison de la sécheresse de l’été. Ici, pas de rubis, pas de cimes incandescentes, de camaïeux soleil couchant. L’arbre jaunit, brunit même et vite, se dépouille de sa ramure malade, d’un coup de vent. Il n’a pas d’érable dans le coin, pas d’arbre à l’automne surprenant, à part quelques essences plus exotiques plantées dans les jardins des quelques dizaines de maisons qui forme un village.
En octobre, la grisaille a plombé le moral du pays alors que s’annonçait la tant redoutée « deuxième vague » de la pandémie. Vous savez, celle qui n’a surpris personne sauf le gouvernement… Je suis arrivée ici vendredi, dans la nuit. Le samedi matin, un soleil radieux trônait au-dessus de petit bois. Si depuis il a plu et la température a chuté, avec ce matin la première gelée, les percées joyeuses de l’astre tire un peu le moral de sa turpitude épuisante. Comme il a plu, le petit bois si assoiffé cet été s’est transformé en marécage de fortune. Les rues de fonds de vallées se déverse sur les chemins et la gadoue règne en maître. Saphira, la chienne, cavale devant moi, extatique devant tant de possibilité de jeux. Je marche avec précaution, préférant éviter glissade et bain de boue impromptue. Je laisse ce plaisir aux sangliers dans leur souille.
Bien alignée, dans une trouée, une série de champignons encore humide de rosé égaie ma fin de matinée. Agenouillé, je les photographie sous les coutures, du pied au chapeau, et observant leurs lamelles parfaitement rangées. Une jeune pousse d’ortie me rappelle que la boue n’est pas la seule menace. J’enjambe le ru, d’une main accrochée au tronc d’un boulot innocent, je n’ai aucune envie de noyer mon unique paire de chaussures de rando. Je voyage léger, partie inopinément avec une valise de taille modeste. OK. En vérité je suis partie dans un état frisant la panique, la poignée de neurones encore fonctionnels concentrés sur la tâche titanesque de ne pas trop oublier de trucs essentiels (sachez que mes chaussettes en pilou sont restées à la maison, et c’est le drame). J’arrive sans encombre à ne pas me casser la margoulette sur le terre-plein. Saphira elle, n’a pas les mêmes hésitations. Ravie par la fraîcheur de la baignade, elle partage son enthousiasme et venant s’ébrouer à mes côtés. Merci.
Mon stock de pantalon aussi est limité…
Dans les arbres, les chants des oiseaux. Mon identification se limite à celui des mésanges, si gaie avec leurs trilles mélodieuses. Ne pas savoir nommer, ne pas savoir reconnaître, ne m’empêche pas d’apprécier les sons de la nature. Les parcelles ici sont exploitées en bois et des planques de chasseurs rappellent que ce paysage est fabriqué, habité, presque autant que la ville. Pourtant, ici, sur ce chemin aux profondes ornières, je respire un air de liberté, de calme. Pas de masque, le vent froid sur mes joues. Pas d’attestation sur mon smartphone, juste mon podomètre. Je savoure ce privilège que beaucoup de mes amis n’ont pas. Dans d’autres circonstances, avec un logement à moi, pas en transit, être confinée seule aurait peut-être était envisageable, sans l’angoisse sourde de craquer.
Depuis la rentrée, je tiens, toute rapiécée. Ficelle de fortune pour conserver ensemble ce qui se disloque, les bout arrachés qui pendent, effilochés, piqués d’échardes qui s’accrochent et risquent même de blesser ceux qui viennent m’aider. Dans le silence vivant du petit bois, les pieds dans la boue, les mains transies, j’écoute. Le jappement de joie de la chienne, le clapotis de la rivière en contrebas et toujours, le chant des oiseaux. Je me promets de profiter du lieu, de cette possibilité de marcher, seule, ou presque, dans la gadoue, chaque jour où la météo sera assez clémente pour que je m’y aventure.