Si tout est conscience, tout est subjectif ?
Et si tout est subjectif, tout est relatif ?
- Si tout est conscience, alors tout semble subjectif, car la conscience est subjectivité.
"Tout est conscience" (mais tout n'est pas conscient), car tout dépend de la conscience pour être ce qu'il est et ce qu'il n'est pas. Cela est prouvé par notre expérience. Du reste, "conscience" et "expérience" sont synonymes. L'idée d'un "dehors" de la conscience est une idée, donc un acte de conscience, donc cela même n'existe que "dans" la conscience. "Dans" désigne ici l'identité de la chose avec la conscience, son absolue dépendance de la conscience. Mais les choses ne sont pas dans la conscience comme elles sont dans l'espace, car les choses ne sont pas espace, même si les corps on besoin d'espace pour s'étendre et donc pour exister. Les choses sont dans la conscience signifie qu'elles sont conscience, sans aucune part exceptée.
Mais l'acte de conscience, dira t-on, est toujours point de vue. Toute conscience étant "conscience de", regard jeté vers, élan, est point de vue. D'ailleurs, on dit bien "viser" (lakshana) en sanskrit.
Or, qui dit point de vue, dit situation. On regarde "d'un certain point de vue" situé, c'est-à-dire déterminé dans l'espace et le temps. Il n'existerait donc qu'une myriade de points de vue. Dès lors, tout n'est-il pas relatif à un point de vue ? Situé, déterminé, sans jamais pouvoir prétendre à aucune transcendance ? Si tout est conscience, ne sommes-nous pas condamnés au relativisme ? Et je pourrais ajouter que tout est ma conscience : je peux donc créer, selon mon point de vue. La vérité se verrait donc assigner une double peine. Bannie de la conscience réduite à un point de vue relatif ; et emprisonnée dans une posture de petit tyran qui crée "son" monde. Le pouvoir au prix de l'impuissance, en somme. Car, s'il n'y a pas vraiment d'autre, si tout n'est que point de vue, si tout se vaut, rien ne vaut. A quoi bon créer ce que l'on ne peut partager ?
- Dire cela, c'est oublier que la conscience ne cesse de se transcender. Doublement : elle se transcende en ne coïncidant jamais avec elle-même, toujours "conscience de" quelque chose, jetée hors d'elle vers un autre. Et elle se transcendance dans le fait qu'une fois l'objet engendré, elle le quitte pour un autre, en replongeant en elle-même dans l'intervalle. Le changement, c'est-à-dire le temps, est donc la preuve que la conscience n'est pas confinée en elle-même. Elle n'est pas prisonnière de son identité. Elle engendre de l'autre, elle le vise, l'embrasse, le rejette. Mais elle va sans cesse vers l'autre, puis vers un autre autre.
Mais si tout est conscience, comme l'Autre est-il possible ? Il serait tentant de répondre que l'Autre est impossible. Qu'il est simple apparence, illusion, faux-semblant. Ou qu'il est réellement un Autre, sans rapport avec la conscience. Nous sommes ainsi mis en présence de deux extrêmes : l'extrême de l'identité ("il n'y a que CELA QUI EST", etc.) et l'extrême de l'altérité ("nous sommes des îles isolées", etc.).
En réalité, il n'y a qu'une possibilité : l'Autre, c'est la conscience elle-même qui s'engendre comme autre. Comment ? En prenant conscience d'elle-même. Si toute conscience est "conscience de", alors il faut ajouter que toute conscience est conscience de soi. Mais sous une forme plus ou moins adéquate, complète, vaste, etc. Quand je perçois le néant, c'est moi qui me manifeste ainsi, comme néant. Quand je désire cette pomme, c'est moi qui me désire ainsi sous cette forme.
Mais tout ne reste t-il pas subjectif ? - Si, mais subjectif ne signifie pas nécessairement arbitraire. Il existe, en effet, d'autres critères de vérité que l'objectivité. Si tout n'est que point de vue, nous pouvons néanmoins hiérarchiser ces points de vue selon leur efficacité, leur utilité, leur cohérences relativement aux autres points de vue. C'est d'ailleurs ce que toute conscience fait spontanément. Nous collectons des points de vue, nous les comparons, nous leur attribuons une crédibilité déterminée, mais révisable, et ainsi de suite. Par ailleurs, il y a quand même place pour une certaine objectivité, puisque je peux et je dois distinguer entre le point de vue de la conscience universelle et les points de vue des consciences individuelles. Bien sûr, si tout est conscience, il n'y a, en définitive, qu'une seule conscience. Mais il y a le point de vue de la conscience en tant qu'elle ne s'identifie à aucun corps en particulier ; et il y a, ensuite, les points de vue de la conscience en tant qu'elle s'identifie à tel ou tel individu. Quand j'élabore des opinions, je suis la conscience universelle qui crée, car il n'y a rien en dehors de la conscience. Seulement, je ne le sais pas. Je suis alors la conscience universelle, mais qui joue à être tel individu, et qui crée à partir de cette identification, c'est-à-dire dans l'oubli de na véritable nature. Et ces points de vue-là ne sont pas de la même valeur que ceux qui sont créés directement pas la conscience universelle. Ainsi, le monde "objectif", commun à toutes les consciences individuelles, est directement créé par la conscience universelle. Et les conscience individuelles, qui sont la conscience universelle qui joue à s'identifiée à tel et tel corps, projette sur cette création première, leurs créations secondes. Et donc, je peux distinguer entre les points de vues objectifs de la conscience universelle et les points de vue subjectifs des consciences individuelles, avec les limites liées à leurs corps, leurs organes, etc.
Et donc, même si "tout est conscience", il y a place pour une distinction entre subjectivité et objectivité. Et tout n'est pas subjectif, au sens où certains points de vue individuels sont plus en accord que d'autres avec le "point de vue" universel et objectif de la conscience universelle. L'objectivité, c'est la subjectivité de la conscience universelle, c'est-à-dire non identifiée à un corps délimité dans l'espace et le temps. L'objectivité, c'est la subjectivité totale. Notre "objectivité" est la subjectivité de la conscience universel. Notre "monde objectif" est le monde subjectif de la conscience universelle. Nous rêvons sur la base du rêve universel de la conscience universelle. Et l'individu n'a, en tant que conscience identifié à cet individu, que les pouvoirs de cet individu. Les lois de la nature sont les désirs de la conscience universelle, dans lesquels nos désirs individuels doivent nécessairement s'inscrire, s'ils désirent leurs fruits. Certes, je suis la conscience universelle. Mais, en tant que je suis identifié à tel individu, je n'ai que les pouvoirs de cet individu. La tentation est grande d'inverser la hiérarchie et de dire que je peux me réidentifier provisoirement à la conscience universelle, afin de puiser dans ses pouvoirs infinis, afin de satisfaire ensuite mes désirs individuels... C'est l'impasse de l'occultisme. Mais cela ne marche pas, car en réalité, tout ce que l'individu ordinaire fait ordinairement, il le fait déjà en se réidentifiant (confusément) à la conscience universelle.
Tout est donc subjectif au sens où tout est conscience, mais tout n'est pas pour autant subjectif au sens où tout serait individuel. Il y a de l'universel, de la conscience universelle : c'est le monde, la réalité. Mais je peux, moi, conscience individuelle enracinée dans la conscience universelle, savourer dans mon expérience individuelle, un peu de l'expérience universelle. C'est ce qui se passe quand les filtres individuels s'estompent un peu. C'est la magie, la poésie, la grâce, ce sentiment d'unité qui est le moteur de toute création. Et dès lors, tout n'est pas relatif. Tout est relié, certes, mais les critères de vérité bien connus (objectivité, efficacité, cohérence) demeurent parfaitement valides. Celles et ceux qui veulent utiliser le fait que "tout est conscience" pour donner libre carrière à leurs délires où à leurs fantasmes immatures, ne font que se tromper eux-mêmes et tromper les autres. Même si "tout est conscience", on peut et, donc, on doit, distinguer entre des opinions fausses, des opinions vraies, et la science. De même que la physique quantique, l'idéalisme ("tout est conscience") ne peut donc pas et ne doit pas, servir d'excuse aux escrocs et autres charlatans.