Pour mon anniversaire, en cadeau, j’ai eu un confinement.
Je n’ai pas beaucoup d’estime pour notre président et la gestion de la crise sanitaire par l’infantilisation de la population me laisse dubitative. Je suis experte en rien alors je n’ai pas d’avis intéressant sur la question, juste une constatation simple, égoïste : être enfermée plusieurs semaines durant, loin de mes amis, dans un logement que je veux quitter, logement qui abrite les débris de mon couple, les rêves avortés de plus de vingt ans, bousille ma santé psychique à grands coups de pelle. J’ai tâché de m’imaginer vivre là, dans cette maison baignée de lumière, avec cette magnifique terrasse. Même si j’y vis seule durant cette phase de transition, même si j’ai quitté la chambre conjugale pour me retrancher dans mon bureau où j’ai fait rentrer un lit pour enfant, je ne peux pas.
Je ne suis pas en capacité de passer un nouveau confinement dans ce lieu.
Jeudi soir, je n’ai pas écouté l’allocution présidentielle. La panique aveugle qui m’a étreint lorsque j’ai appris la nouvelle ne m’a pas laissé beaucoup de latitude : fuir. Fuir ou risquer un séjour dans un endroit qui je préfère vivement éviter de fréquenter. Vendredi matin, la discussion avec ma thérapeute, psychiatre de profession, a consolidé ma décision, l’unique choix possible : la fuite.
Je suis partie. Je pense à mes amis, surtout à V. malade. La culpabilité stupide mais griffue, se niche au creux du bide. Dans une précipitation frisant la panique, je plie bagage.
Faire rentrer de quoi vivre en pleine cambrousse, avec pluie, boue, toutou, forêts et travaux dans une valise de taille modeste. Dans un sac, y mettre livres, ordinateur, méthode d’apprentissage du japonais et trois pelotes de laine pour apprendre le crochet. Sans oublier la Switch, Animal Crossing m’a sauvé la mise lors du confinement V1.
Par la fenêtre du sympathique taxi, la ville connaît une frénésie, un chant du cygne, avant que de nouveau, elle retienne son souffle, jusqu’à l’asphyxie. Faune et flore, elles, respireront de nouveau. Un wagon calme file vers l’est. Ma cousine m’accueille à la gare et nous dépassons, furtives, heure du couvre-feu. La lune presque pleine diffuse sa lueur au travers des nuages et la route se déroule, sereine, sous les autres phrases des rares conducteurs, eux aussi dans l’illégalité. Vite, vite, rentrer. La fuite est achevée.
Ce matin, les petits pas dynamiques d’Isidore, deux ans, me tire d’un sommeil réparateur. Le soleil se glisse sous la porte de ma chambre aveugle. Je respire enfin.