david hockney, 1972
hier matin je suis allée nager
ça faisait longtemps que ça ne m'était arrivé
au début je pars lentement
et je manque de souffle
obligée de m'arrêter
au bout de chaque longueur
pour respirer un peu
avant de repartir
je nage ainsi deux cents mètres
puis un autre deux cents mètres
avec une planche
en ne battant que les jambes
puis un autre deux cents mètres
avec un flotteur entre les cuisses
en ne bougeant que les bras
j'aime cette sensation de flotter un peu
après six cents mètres de réchauffement
je me sens mieux
j'ai un meilleur rythme
et je pars alors pour une série de longueurs
sans me mettre de pression
juste en me fixant un nombre
disons quarante longueurs
mille mètres
je rentre dans ma bulle
je pense en regardant la ligne du corridor
sur le plancher de la piscine
je regarde le coulis entre les dalles
je regarde la ligne descendre
une pente de deux mètres
alors que mes yeux restent secs
derrière mes goggles
je compte mes longueurs
j'invente des histoires
je me rappelle mes rêves
je suis léolo
je respire aux cinq brassées
en alternant de chaque côté
en voyant le plafond de la piscine
alors que mon menton émerge et se colle à mon épaule
avec une prononciation plus forte à gauche
comme dans tous mes gestes
je passe le reste de mon heure avec la tête sous l'eau
là où il fait bleu
et comme un poisson abyssal
je développe mes branchies
je deviens amphibie
j'ai pris une pause hier à moitié chemin
pour reprendre mon souffle et boire de l'eau
je me suis aperçue qu'à la surface
la marée était forte
il y avait grand houle
alors que des nageurs
déplaçaient un fort volume d'eau
dans les corridors voisins
j'ai eu la nausée et la tête qui tourne
je suis retournée sous l'eau
et le calme est revenu
ainsi que mes mouvements fluides
et le fil de mes pensées
c'était une métaphore parfaite de la vie
celle-ci
celle de ces temps-ci
de ces mois-ci
de ces jours-ci
celle où il vaut mieux ne pas rester à la surface
là où il n'y a que bruit cohue pollution et conflits
les réponses ne s'y trouvent pas
il faut travailler un tantinet
et faire l'effort de creuser un peu
trouver son rythme et sa respiration
aller à l'intérieur de soi et réfléchir
afin de retrouver le calme du noyau
faire jaillir l'émotion et s'écouter
en se faisant confiance
en prenant le temps de se déposer
et d'analyser loin des cris et de l'urgence
il devient plus simple
d'y voir un peu plus clair
et de retrouver une certaine paix
on est bien récompensé.