La spiritualité est presque toujours fondée sur le rejet du corps. Et de tout ce qui va avec. Le but de la spiritualité classique est d'immobiliser le corps, de le tuer, de passer dans le néant.
A l'exception du tantrisme. Plus spécialement des traditions Kaulas.
Ailleurs, il y a des bribes, des élans, des effluves, mais rien de cohérent. Le platonisme est foncièrement ascétique. Ses dérivés chrétiens, juifs, musulmans, le sont aussi. En Chine, le taoïsme alchimique reste ascétique, même quand il intègre des éléments sexuels. Le bouddhisme, même tantrique, reste radicalement opposé au corps, à la sexualité, à la présence des femmes. Le Vedânta, le Sâmkhya, le Yoga de Patanjali, Ramana Maharshi, Nisargadatta Maharaj, rejettent le corps. Certes, il y a des nuances, des degrés dans ce rejet. Mais il demeure essentiel, fondateur. L'acte de naissance de la spiritualité est la mort du corps. Les pratiques d'ascèse, de yoga, de méditation, de respiration, et même les pratiques corporelles et sexuelles, ont toutes pour but l'immobilité du corps, c'est-à-dire la mort. Bien sûr, il y a des tensions, des réactions vitales, ici et là, des actes de résistance. Mais la racine, ou disons le tronc, n'en demeure pas moins.
Aujourd'hui, la spiritualité semble contredire cette affirmation. Partout, on célèbre la vie, le corps, le ressenti, les cycles organiques, le féminin... Cependant : 1) Cette tendance est en grande partie motivée par des raisons commerciales ; l'authenticité de ses fruits peut donc être contestée ; 2) La question demeure de savoir si ces spiritualités sont vraiment des spiritualités ou simplement des "pratiques de bien-être" ?
Autrement dit,
1) Qu'est-ce que la spiritualité ?
2) Une spiritualité de la vie est-elle possible ?
1) Il y a deux manières de comprendre la "spiritualité" : a) Comme vie de l'esprit, avec la tentation d'oublier le corps et la vie qui fonde, humblement mais indubitablement, la vie de l'esprit. C'est la tentation à laquelle succombent toutes les spiritualités. b) Comme respiration, comme découverte du souffle, lien unifiant le corps et l'esprit.
2) Une spiritualité, comprise de cette dernière manière, serait possible à condition d'inclure à la fois l'esprit et le corps. Le corps étant mortel, il doit exister, d'une manière ou d'une autre, d'autres corps, matériels, sensibles, et non seulement des "corps de lumière" qui ne sont pas des corps, puisqu'ils ne sont pas corporels. Or, cela, je puis bien le croire, mais je n'en ai pas la preuve.
Par conséquence, une spiritualité de la vie n'est possible que sur la base d'une foi.