Lendemains de trail

Publié le 30 octobre 2020 par Pascal Boutreau

Période de confinement oblige, j'en profite pour rééditer (avec quelques ajustements) certaines news parues ces dernières années sur ce blog ou quelques papiers publiés dans divers titres avec lesquels j'ai eu le plaisir un jour de collaborer... On attaque avec une news que j'avais appelée "Lendemain de trail" et que j'ai un peu retravaillée pour cette nouvelle parution. Oui, je recycle... 

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Au milieu du salon, un sac à dos et un dossard trainent encore, accrochés au dossier d'une chaise. A l'intérieur du sac, une couverture de survie, un gobelet et quelques barres céréales épargnées la veille. Juste à côté, les chaussures finissent de sécher. Quelques traces de boue témoignent encore de l'effort. Même sort pour le tee-shirt et le cuissard, épinglés sur l'étendoir. La Polar est posée sur un coin de la table. Elle aussi a besoin de recharger ses batteries. La veille, une fois la ligne d’arrivée franchie, elle a rendu son verdict. Froidement. Implacablement. Des kilomètres, des heures, des minutes et des secondes, des mètres aussi qu’il a fallu parfois grimper, parfois dévaler. Des chiffres, simplement des chiffres et des courbes. Pourtant, l'essentiel n'est pas là. Le Petit Prince de Saint-Exupéry affirmait qu'il était invisible pour les yeux. Il n'avait sans doute jamais couru un trail. 

Sur l'écran de l'ordinateur s'est affichée une courbe reliant le départ à l'arrivée. En suivant ce trait dessiné sur la carte, quelques images reviennent à l'esprit. La brume sur un lac au petit matin, les montées et les descentes à lutter dans la boue, la traversée de villages à l'heure où la queue se forme devant une boulangerie, avec une odeur de pain frais pour nous accompagner sur quelques mètres. Reviennent aussi les images d'un passage au coeur d'une forêt, sur un chemin de crête ou au creux d'une vallée, avec, au hasard du chemin, des rencontres avec les promeneurs parfois curieux, parfois incrédules, parfois indifférents. Autant de trésors réservés à celles et ceux qui osent s'éloigner du bitume. 

Un trail, c'est souvent bien plus qu’une course. C'est une aventure. Quand au pied d'un col, la nuit tombe, le chemin éclairé par les lampes frontales ouvre alors la porte vers la montagne. Les faisceaux lumineux des coureurs tracent la route à suivre, telle une immense guirlande au milieu des sapins. En trail, Noël se fête parfois en été. Et puis il y a ce silence, que seul le souffle de respirations saccadées vient troubler, rythmé par le clic clac des bâtons sur les pierres.

Au cœur de cette nuit, on aimerait prendre le temps de regarder les étoiles mais seuls les quelques centimètres carrés où l’on pose les pieds parviennent à mobiliser l’attention. Puis le jour se lève et ramène avec lui de nouveaux espoirs et l'illusion d'une énergie retrouvée. Une illusion souvent de courte durée au cœur d’un périple où l’on traverse des paysages grandioses… mais que l’on oublie parfois de contempler, trop enfermé dans ses combats, dans ses démons intérieurs.

Au fil des kilomètres, la douleur devient une compagne que l’on voudrait d’abord abandonner au bord d’un chemin avant de se résoudre à l’apprivoiser. Courir ou marcher, peu importe, l’essentiel est d’avancer. « Surmonter les difficultés d’un ultratrail, c’est se prouver qu’on peut surmonter celles de la vie, parce que surmonter les difficultés, c’est la vie, et que le bonheur en dépend », écrit Jean-Philippe Lefief auteur de l’excellent ouvrage « La folle histoire du trail » (Guérin éditions Paulsen).

Tout se termine souvent par une dernière descente qui fait hurler chaque muscle, une dernière ligne droite puis la libération. Dans de nombreuses courses, l’arrivée nous ramène au point de départ. Drôle de paradoxe. Quelques heures se sont écoulées, une poussière à l'échelle d'une vie. Pourtant, pour certains, rien ne sera plus tout à fait comme avant.

Un lendemain de trail, c’est aussi se souvenir de tous ces bénévoles. Si précieux pour assurer les traversées de routes, si précieux pour baliser le parcours, si précieux pour les ravitaillements. Si précieux surtout pour tous ces sourires et ces mots d'encouragement distillés tout au long du chemin. Ils sont une des richesses de ce chemin, eux qui viennent nous offrir leur aide et leur réconfort pour nous permettre de vivre notre passion. Sans rien en échange si ce n'est les trop rares "mercis" des coureurs. 

Et puis un lendemain de trail, il y a les clés qui tombent et qu'il faut ramasser, ce lacet qui s'est défait et qu'il faut renouer. Plier les jambes, en apnée, tout doucement. Il y a aussi ces marches à descendre. Encore un peu de fierté pour ne pas s'accrocher à la rampe. Une jambe, puis l'autre. L'équilibre est précaire et interdit tout faux pas. Arrivé en bas, l'impression d'avoir réalisé un petit exploit dont on se surprend à être fier.   

Un lendemain de trail, c'est tout ça. C'est surtout l'envie de repartir. Pas tout de suite bien sûr. Mais vite. Pour retrouver cette sensation d'être vivant. Pour retrouver l'essentiel.