Que j’ose vivre enfin
donner la pâtée aux chiens lugubres de mes désirs
libérer les océans qui dorment fourbus dans mes reins
Je ne veux plus être le gardien sombre
de tous ces corps déchus
de tous ces songes passés au fil de l’épée
je veux être debout parmi les blés et les écumes
du Pacifique
Que les morts se taisent au noyau de mon chant
qu’ils cessent d’empoisonner ma rugueuse marche
j’ai soif d’espace et d’une Femme aux lèvres
de lait de chèvre
j’ai hâte de bâtir demeure d’herbes et d’argile
foulée aux pieds
Que les morts se taisent quand mes enfants
rient au bord de la rivière
j’ai vertige d’une prairie, d’un matin aux lueurs
de safran
Je veux qu’on m’accueille au pays des sèves et
des poussières
Sachez qu’autour des feux gitans on parle de
moi on m’attend
La plus belle fille de la tribu qui a des yeux de
charbons ardents
prendra ma main quand je surgirai, dira à l’ancien :
« Père voici mon amant. »
***
André Laude (1936-1995) – Un temps à s’ouvrir les veines (Les Éditeurs français réunis, 1979)