Membres de la minorité Bororos et déplacés internes de la crise anglophone, les parents de ces deux enfants n’ont pas les moyens de payer cette somme.
Le secrétaire exécutif de l’Organisation national des parents pour la promotion de l’éducation au Cameroun (Onaped), Augustin Ntchamandé, dénonce le « comportement non réglementaire » de la direction de l’école. 7h50, ce vendredi 23 octobre 2020. La fraîcheur matinale qui jaillit des collines de Fongo-Tongo s’estompe progressivement face au soleil qui se lève à l’horizon. La vie bat son plein à l’école primaire publique de Fossong-Tchuentchue, un village de la commune de Fongo-Tongo situé à près de 13 kilomètres de la ville universitaire de Dschang. La cinquantaine de pupilles qui remplit la Section d’initiation à la lecture (Sil) exultent de joie. « Mami ouvre ! Ferme ! Lance ! Jette ! ». Telle est la cadence du refrain qui ponctue leurs jeux.
A la manœuvre, Fernande Ngouni, directrice du groupe I de cette école communique la joie de vivre et le goût de l’apprentissage à ces enfants. Une ambiance studieuse règne dans les autres salles de classe. Comme tous les autres jeunes de Fossong-Tchuentchue, Fadimatou et Aïcha auraient souhaité fréquenter cet espace de formation et d’apprentissage. Mais faute d’argent, ils n’ont pas accès à l’enceinte de l’école. Propriétaire d’un cheptel de bœufs, Adamou Gambo, le père des deux enfants, a tout abandonné dans le département de la Mezam, fuyant les atrocités commises par des «insurgés sécessionnistes» dans le cadre de la crise anglophone qui secoue les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, depuis quatre années déjà. «La directrice de l’école m’a demandé de verser la somme de 22 milles francs pour scolariser mes deux enfants à l’école publique du coin. Mes deux filles, âgées de 10 et 13 ans, sont à la maison depuis le mercredi 07 octobre 2020. J’ai envoyé la plus petite à Mélong chez l’une de mes filles. Seule, la plus grande est là, ici à Fongo-Tongo. Mes moyens sont limités. Je ne sais quoi faire pour payer 22 milles francs afin que mes deux enfants rejoignent l’école du village», se lamente Awa Fatou, la mère des deux filles.
Approchée, Fernande Ngouni, la directrice incriminée, n’a pas voulu se prononcer sur la question. Par contre, son collègue M.Temfack, directeur de l’école publique de Fossong-Tchuentchue, donne quelques détails sur la somme d’argent exigée pour scolariser les élèves de l’école primaire dans cette localité. «Les frais demandés aux enfants sont répartis comme suit : 1500 Fcfa pour la copie d’acte de naissance ; 1300Fcfa pour les écussons ; 7500 Fcfa pour l’association des parents d’élèves ; 2500Fcfa pour les frais d’examen mensuel et 500 de frais de photos d’identité », explique-t-il. Ce qui fait environ 13 000 Fcfa à débourser par enfant de classe d’examen et 11 000 Fcfa pour les autres classes. Ce qui fait environ 22 milles francs pour les deux enfants d’Adamou.« Nous n’avons expulsé aucun enfant de notre école. Nous attendons que l’Association des parents d’élèves se réunisse pour formuler, au besoin, des nouvelles orientations en ce qui concerne cette rentrée scolaire», poursuit M. Temfack.
Des sanctions administratives ?
Des arguments qui sont loin de convaincre. Augustin Ntchamandé, secrétaire exécutif de l’Organisation nationale des parents pour la promotion de l’éducation au Cameroun (Onaped) et membre de Dynamique Citoyenne, trouve notamment qu’il y a eu abus et violation du principe de la gratuité de l’école primaire contenu dans un décret du chef de l’Etat et dans certaines conventions internationales ratifiées par le Cameroun. L’article 17 de la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le décret n°2201/041 du 19 février 2001 relatif à la gratuité de l’école au Cameroun sont invoquées par le syndicaliste. Cette disposition de la Charte s’énonce ainsi : «1.Toute personne a droit à l’éducation. 2. Toute personne peut prendre part librement à la vie culturelle de la Communauté. 3. La promotion et la protection de la morale et des valeurs traditionnelles reconnues par la Communauté constituent un devoir de l’Etat dans le cadre de la sauvegarde des droits de l’homme. » Le décret n°2201/041 du 19 février 2001 relatif à la gratuité de l’école au Cameroun dispose dans son article 47 que: «Les élèves des écoles primaires publiques sont exemptés des contributions annuelles exigibles». Au niveau de la délégation départementale de l’éducation de base de la Menoua, on n’ignore pas les conséquences de la violation des textes en question.
Le discours est ferme. Des menaces de sanctions administratives sont brandies contre les directeurs récalcitrants. «L’école primaire est gratuite au Cameroun. Nous avons donné des instructions pour l’admission en salle des déplacés de la crise anglophone. Les minorités vulnérables que sont les Bororos et les Baka font l’objet d’une attention particulière. A la demande du délégué régional de l’éducation de base, nous avons effectué un recensement pour dénombrer le nombre des membres de cette minorité dans nos écoles primaires. Lors des sectorielles (réunion préparatoire à la rentrée scolaire dans le secteur de l’éducation de base: Ndlr), tous les directeurs ont été sensibilisés sur la question », soutient une source de la délégation départementale de l’éducation de base dans la Menoua. Elle entend attirer l’attention de la hiérarchie sur ce qui se passe à Fongo-Tongo.
Guy Modeste DZUDIE
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