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L'absolu selon le Tantra

Publié le 27 octobre 2020 par Anargala
L'absolu selon le Tantra

 Dans le célèbre commencement de sa Méditation sur la Triple Souveraine (Parâtrîshikâvivarana), Abhinavagupta évoque l'absolu en partant du nom qui lui est donné au début du Tantra de la Triple Souveraine : an-uttara "sans supérieur". Mais, fort de son génie propre, il se lance dans une série d'étymologies traditionnelles (nirvacana) de ce mot. Seize. 

A chaque fois, uttara signifie "transcendant", "supérieur". Et le préfixe an- nie cette négation, cette supériorité, cette hiérarchie. L'absolu n'est pas l'absolu. Il est au-delà, car il n'est pas confiné dans sa supériorité. Tout ne se faut pas, il y a bien "unité sans confusion", comme dirait Proklos, mais aussi "tout est dans tout". Telle est la liberté : non pas dans la transcendance, un "au-delà des concepts" qui serait encore un concept, une construction par exclusion, mais dans la transcendance retrouvée à chaque point de l'immanence, dans l'absolu, mais réalisé dans chaque point de vue relatif. Pour le dire autrement : dans chaque partie, le tout. Et la véritable liberté ne consiste pas, selon Abhinavagupta, à se tenir au-dessus, ni à claironner que "tout est égal", mais à pouvoir monter et descendre à volonté dans l'échelle de l'être, depuis la pure inconscience jusqu'à la pure conscience. Cette liberté permet une vision intégrale qui embrasse tous les points de vue relatifs. Et cela, c'est proprement la poésie. Voilà pourquoi tous les grands maîtres du Cachemire furent des poètes, ou du moins des amateurs de poésie, pour ce que nous en savons. Ainsi, Utpaladeva, le génial philosophe de la Reconnaissance (pratyabhijnâ), fut aussi le magnifique poète des Hymnes à Shiva.

Mais Abhinavagupta va encore plus loin. Il joue avec le mot anuttara, le retourne dans tous les sens, l'analyse pour le traire telle une vache qui exauce les souhaits. Par exemple, anuttara=anut+tara ou anut désigne l'espace et tara veut dire "traverser", "dépasser", comme Târâ, la nautonière qui sauve de l'océan du samsâra. 

Ainsi, anuttara est ce qui est au-delà l'au-delà, ce qui transcende la transcendance, puisque l'espace est l'image même de la transcendance. En Inde et, en particulier, dans les traditions non-dualistes ascétiques, c'est l'image classique de la transcendance. C'est aussi la base de la dualité, ce qui "donne lieu" (âkâsha=avakâsha) ) au commerce quotidien (vyavahâra), au bavardage (prapanca). Ce qui est par-delà cet au-delà, c'est l'absolu qui, loin d'être un bloc statique enfermé dans sa supériorité, est une puissance infinie de se manifester ainsi et autrement : comme dualité, comme unité, comme oubli de l'unité, comme dualité dans l'unité, etc. L'absolu, c'est-à-dire la conscience, est au-delà de l'objectivité, mais aussi au-delà du vide, de l'inconscience, au-delà de l'inertie, au-delà du rien, au-delà du sommeil, lequel n'est que la contrepartie négative de la dualité. L'absolu est la grande réconciliation des opposés. Et c'est pourquoi l'expérience de l'absolu est une joie, une ivresse à nulle autre pareille. 

Alors que le vide est un concept, une construction forgée par exclusion de l'objet, de la conscience, etc., la conscience n'est pas une construction, car elle n'a pas d'opposé. Elle qui n'est rien en elle-même, se manifeste jusque dans le rien. C'est cela que je ressens dans l'étonnement d'être, au seuil de tout mouvement, de toute perception, de toute pensée, de tout désir, de toute émotion.

Tel est, en bref, l'absolu selon Abhinavagupta.


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