"Bande de hooligans VIP", dit le gros titre
sur cette photo de Luis Etchevere au geste menaçant
Une de Página/12 hier
Luis Etchevere, ancien ministre de l’agriculture (dans le gouvernement de Mauricio Macri), appartient à une richissime famille de propriétaires fonciers. Il a trois frères et une sœur. Celle-ci, Dolores, en révolte contre la famille (1), aurait renoncé à ses droits de succession devant notaire (affirme ledit tabellion) à moins qu’elle n’ait revendu ses parts aux autres héritiers (si l'on en croit sa mère). Il y a quelques temps, elle s’est installée sur l’immense domaine familial de Santa Elena, dans la très fertile province agricole de Entre-Ríos, dans la grande boucle du Paraná, au nord du pays. Elle affirme en être la propriétaire et en tant que telle, elle a installé dans cette estancia un projet d’économie agraire, solidaire et durable, le Proyecto Artigas, porté par des paysans sans terre organisés sous des drapeaux associatifs, politiques et syndicaux.
Considéré
comme le père de l’indépendance de l’Uruguay, José Gervasio
Artigas (Montevideo, 1764 – Asunción, 1850) est une immense figure
de la gauche. Il a soulevé et organisé le nord-est de l’Argentine
en la liant à l’actuel Uruguay (Banda
Oriental) pour en faire le territoire
de la très fédéraliste Ligue des Peuples Libres qui s’opposait
les armes à la main au centralisme de Buenos Aires. La Ligue des
Peuples Libres fut la seconde manifestation d’irrédentisme au sein
des Provinces-Unies qui ont succédé en 1810 au vice-royaume du Río
de la Plata (2).
Inutile de vous préciser que cet intitulé, Proyecto Artigas, est
une véritable provocation pour la famille Etchevere, enracinée dans
ses convictions de droite réactionnaire, dominatrice, affairiste,
inégalitaire et profondément machiste.
Grosses bagnoles d'estancieros assiégeant la propriété
où se déploie le Proyecto Artigas à Santa Elena
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Soutenus
par leur mère, particulièrement remontée et très hostile à sa
fille, Luis Etchevere et ses frères ont fait appel à la justice,
laquelle n’est pas à leurs ordres. Elle ne bouge donc pas assez
vite à leur goût et ne vas pas dans leur sens. Depuis quelques
jours, avec des amis du secteur du patronat estanciero venus dans
leurs gros quatre-quatre polluants, ils font le siège de la
propriété, empêchant le ravitaillement d’entrer et menaçant d’y
pénétrer par la force à tout moment. Avec des trognes patibulaires
qui respirent la vindicte politique, ces millionnaires meuglent leur
rage et leur hargne devant la clôture du domaine, sur laquelle
flotte la bannière de la Ligue des Peuples Libres (le drapeau de la
toute première déclaration d’indépendance, celle de 1815). Ils
se donnant ainsi l’apparence des « sauvages » fédéraux
qui suivaient Artigas en son temps et pour lesquels cette droite
professe, depuis toujours, le plus ignominieux mépris.
Contrairement aux apparences,
ce ne sont pas des cow-boys sous la pluie
mais tout plein de JR dans la pampa argentine !
"Escalade dans le conflit pour l'occupation à Entre Ríos :
grand concours de drapeaux et menace de barrages routiers"
dit le gros titre
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La dispute familiale tourne à présent au défi manu militari à l’ordre public de la part de cette partie de l’élite argentine qui, au pouvoir pendant quatre ans jusqu’à la fin de l’année dernière, a prétendu incarner ce même ordre contre le « bazar péroniste » (pour le dire en termes plus polis que les siens). Même la presse de droite reste bouche-bée devant la dérive impudente et cynique de cet étalage de violence verbale et de moins en moins symbolique et de ces menaces d’employer bientôt la force illégale contre cette femme qui squatterait le lieu.
Le
juge en charge de l’affaire a convoqué la famille à une audience
de conciliation. Les quatre hommes n’ont pas daigné s’y
présenter, comme s’ils revenaient au « bon vieux temps »
de la tristement célèbre Generación
del 80, longue période où le pouvoir
oligarchique a fait régner la loi de la jungle sur toute
l’Argentine, de 1880 à 1916, et où il était de bon ton pour les
grands propriétaires d’ignorer la justice ou d’acheter les
juges.
"Nous n'avons pas peur" dit le gros titre
reprenant les slogans des JR de Santa Elena
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Ce sont donc deux familles tenantes de grandes richesses productives qui sont en train de se déchirer devant le public et les médias : la famille Macri, active dans les travaux publics, la finance et les concessions de service public (notamment les autoroutes et la poste nationale argentine) et la famille Etchevere, protagoniste du monde rural, représentante de la vieille oligarchique traditionnelle dont les us et coutumes remontent à l’époque coloniale, avec tout ce que cela charrie de pratiques anti-républicaines et anti-démocratiques. © Denise Anne Clavilierwww.barrio-de-tango.blogspot.com Pour en savoir plus :lire l’article d’hier de Página/12lire l’article de Página/12 aujourd’hui (pour le journal de gauche, le rassemblement patronal d’hier devant la porte d’entrée du domaine a été minable)lire l’article de La Prensalire l’article de Clarín (pour lequel le rassemblement patronal a été très important – un récit des faits à l’opposé de celui de Página/12 comme c’est souvent le cas)lire l’article de La Nación (1) Dolores Etchevere donne volontiers des interviews à Página/12 où elle déverse sur ses frères des accusations sordides : ils n’auraient jamais travaillé de leur vie et se seraient toujours organisé pour gagner beaucoup d’argent en contournant la loi, en pratiquant l'évasion fiscale et en ne payant jamais les biens dont ils se rendaient acquéreurs. Des propos que La Prensa reprend ce matin.(2) Le premier mouvement a réussi, il a donné l’indépendance du Paraguay, dès 1811, comme je l’ai raconté dans Manuel Belgrano – L’inventeur de l’Argentine (Éditions du Jasmin). Le troisième détachera le Haut-Pérou des Provinces-Unuies : il deviendra la Bolivie en 1825. Le quatrième, qui est la suite de la Ligue, donnera l’indépendance de l’Uruguay en 1830.