J'ai pu vérifier que la vie humaine n'a rien de magique, qu'elle est amour et quête, qu'elle aspire à un but et tend vers une fin, et qu'elle recèle en elle des forces de liberté pour se maintenir avec courage.
C'est à cette conclusion intemporelle qu'aboutissent, me semble-t-il, les écrits africains d'Annemarie Schwarzenbach (1908-1942), qui comprennent des reportages dont la plupart sont publiés dans la presse suisse, des poèmes et un récit.
La journaliste, poète, écrivain, s'est rendue en Afrique à partir de Lisbonne en embarquant le 16 mai 1941 à bord du Colonial, destination Pointe Noire, et est revenue à ce point de départ le 30 mars 1942 à bord du Quanza, depuis Luanda.
Dans ses reportages elle fait son travail, c'est-à-dire que d'abord elle tient son journal en mer à l'aller, puis raconte l'escale à São Tomé, enfin découvre l'intérieur du Congo, qu'elle apprend à aimer pour mieux le décrire à ses lecteurs suisses.
Ce qui frappe en la lisant c'est qu'elle ne cache pas qu'elle éprouve, comme les autres passagers, à l'aller une douleur à laisser derrière elle les côtes de l'Europe, et au retour une joie de les retrouver quel que soit l'état dans lequel elle se trouve.
Au-delà de ce qu'elle voit et qu'elle rapporte avec beaucoup de poésie, pas seulement dans ses poèmes, ce sont les réflexions qui sont les siennes, dans son récit, à la fin de son périple, qui retiennent l'attention, parce qu'elles sont d'actualité.
Ces réflexions sont d'ordre personnel. Soupçonnée en Afrique d'être un agent nazi, elle distingue la réalité apparente, qui est changeante, pesante, et qui exerce tant de pouvoirs sur les hommes, de la réalité intérieure dont ils sont les maîtres:
Nous les hommes sommes plus libres et plus forts que toute la puissance du monde; car elle ne peut toucher que notre moi inférieur, celui qui dépend de la faim, de la soif, de la joie ou de la souffrance causées par l'ami ou l'ennemi. Elle n'a aucun pouvoir sur la part immortelle de nous-mêmes que nous avons reçue en héritage, sur notre âme pure.
Ces réflexions ont en fait une grande portée puisqu'elles la conduisent à remettre en cause les institutions des États, qui, en réalité, ne servent pas la justice et ne sont rien d'autre que les instruments d'une contrainte exercée sur les citoyens:
Je ne crois plus qu'aucun camp politique, qu'il soit d'un bord ou de l'autre, puisse apporter solution et réponse à la terrible détresse humaine, telle que nous la vivons nous-mêmes ou la voyons autour de nous.
Combattante à la plume étincelante, Annemarie avait déjà du mal à soutenir une cause quelconque parce qu'elle ne le faisait qu'avec la moitié de [son] coeur. Aussi donne-t-elle un autre objectif, supérieur, aux désillusionnés comme elle:
Cultiver de qu'il y a de meilleur en nous et parvenir à l'exprimer.
Francis Richard
Les Forces de liberté - Écrits africains 1941-1942, Anne-Marie Schwarzenbach, 224 pages, Zoé (traduits de l'allemand par Dominique Laure Miermont-Grente et Nicole Le Bris)