Actuellement, il est beaucoup question de la monnaie créée par la Banque centrale européenne (BCE), que d’aucuns qualifient même d'argent magique tant il semble simple à trouver. C'est pourquoi, à quelques jours d'une journée d'étude sur les monnaies locales que nous organisons avec des collègues de l'Université de Lorraine, j'ai souhaité consacrer un billet à la monnaie émise par la Banque centrale et au financement de l'économie.
Comment est créée la monnaie ?
Contrairement à une idée reçue, l'essentielle de la création monétaire n'est pas le fait de la Banque centrale, mais des banques commerciales qui, sans aucune contrepartie (on dit ex nihilo dans le jargon), créent de la monnaie simplement en accordant un crédit à un client selon le schéma suivant :
[ Source : ABC de l'économie - Banque de France ]
Autrement dit, la création de monnaie résulte d’un processus de monétisation des créances non monétaires :
Dans un système bancaire hiérarchisé, c'est-à-dire où existe une Banque centrale et des banques commerciales dites de second rang, chaque banque commerciale émet sa propre monnaie qui, par construction, ne circule qu'au sein de son propre circuit bancaire. Dans ce cas, la monnaie centrale, est la seule monnaie acceptée par toutes les banques et plus généralement tous les agents économiques. Elle est constituée des billets et de la monnaie scripturale émise par la Banque centrale :
[ Source : Natixis ]
Notons que chaque banque commerciale dispose d'un compte auprès de la Banque centrale, qui sert notamment au règlement des dettes interbancaires. Dès lors, lorsque l'assouplissement quantitatif (quantitative easing) mis en place par une Banque centrale consiste à acheter des titres de dette publique aux banques, il y a une égale hausse de la dette publique achetée par la Banque centrale et des réserves des banques à la Banque centrale.
La quantité de monnaie en circulation
On appelle masse monétaire le volume total de monnaie en circulation à un moment donné dans une économie donnée. Certains actifs sont considérés comme suffisamment liquides pour être considérés comme de la monnaie en termes de liquidité, d'où la possibilité de calculer plusieurs agrégats monétaires notés M0 (=monnaie centrale), M1, M2 et M3, sachant que M3 est celui surveillé plus spécifiquement par la BCE :
* M1 qui regroupe les pièces et les billets en circulation ainsi que les dépôts à vue ;
* M2 qui comprend M1 + les dépôts à terme inférieur ou égal à deux ans et les dépôts assortis d’un préavis de remboursement inférieur ou égal à trois mois ;
* M3 qui correspond à M2 + les instruments négociables (certificats de dépôts, titres de créance de durée inférieure ou égale à deux ans) sur le marché monétaire et qui sont émis par les institutions financières monétaires.
Les chiffres récents font état de plus de 13 000 milliards d'euros en circulation (agrégat M3) dans la zone euro en mars 2020 :
[ Source : BCE ]
Le circuit de financement de l'économie
Dans un système bancaire hiérarchisé comme présenté ci-dessus (et qui correspond au monde dans lequel nous vivons), le financement de l'économie prend la forme simplifiée suivante :
[ Source : ABC de l'économie - Banque de France ]
La monnaie hélicoptère
Comme le rappelle fort justement Thomas Piketty dans une tribune au Monde, la création de monnaie centrale atteint des montants vertigineux : + 3 000 milliards de dollars en sept mois pour la Fed aux États-Unis, + 2 000 milliards pour la BCE ! Et pourtant l'économie de ces deux régions s'enfonce de plus en plus dans la crise, car cette monnaie n'irrigue pas l'économie réelle en quête de financement... C'est pourquoi certains économistes comme Jézabel Couppey-Soubeyran proposent désormais d'en venir à de la monnaie hélicoptère, qui consiste à transférer de la monnaie centrale directement aux agents économiques :
[ Source : https://www.veblen-institute.org ]
Et face à la hausse formidable de la dette publique - et privée ! -, il est peu probable d'échapper à une annulation (même partielle) des titres de dette publique détenus par les Banques centrales.
P.S. L'image de ce billet provient de cet article du Point.