(Anthologie permanente) Bertrand Belin, Vrac

Par Florence Trocmé


Les éditions P.O.L. publient Vrac de Bertrand Belin.
Notre situation est à prendre au sérieux pendant quelques années. Puis il faudra continuer un peu jusqu’à la fin.
Untel est ce qu’on lui dit qu’il est.
Il en est ainsi de nous, habillés d’habits et coiffés de cheveux.
Le professeur et le docteur disent ce qu’on est, et, donc, des belin
Vous verrez.
L’innombrable est un.
Un le chef de famille.
Un est aussi l’abominable homme des neiges.
La question du corps de Dieu est en permanente
substitution.
Dans les temps anciens,
on commença à réglementer ce type de problèmes.
Pour ma part, l’abri me fut refusé
à l’église d’une ville.
Tout le bassin était la nuit.
Je vais vous dire
que j’ai l’occasion d’avoir vu la mort
par plusieurs reprises
en tant que personne du cercle.
Classification :
noyé,
noyée,
chien,
une morte de vieillesse,
écrasée.
Cancers : cinq.
Ma mère,
mon père,
ma grand-tante,
ma grand-mère,
ainsi que de la faune,
et, en grand professeur,
de la « botanique ».
La poésie est de Maître Gérard de Nerval,
né vers 20 heures.
Mais il existe d’autres poètes
morts hélas.
Morceaux du poème :
Rossini
Funèbre,
Château.
A propos de la poésie,
elle a toujours été
langagière.
De prince en prince,
de lady en lady.
Les poètes de la faim,
les poètes de la perruque,
les poètes de la friction.
Le poète déborné
se signale de plus en plus.
bertrang a beaucoup pêché de crabes.
L’essentiel fut mangé.
Un peu ont été vendus.
Les trombes et le glacial se montrèrent de bon secours pour m’exempter tantôt un jour durant de songer triangulairement à l’art de vivre en logement.
Le logement est infesté de toccatas et de querelles, cela
qu’importe l’art météo.
Bertrand Belin, Vrac, P.O.L., 2020, 160 p., 14€.
Sur le site de l’éditeur  (où on peut visionner une présentation du livre par Bertrand Belin):
« Vrac est le livre par lequel m’est donné la possibilité de mettre enfin en langue des expériences sensibles appartenant à mon enfance et mon adolescence. Passé marqué par la confiance déposée dans la conquête nécessaire de la maîtrise du langage, perçue comme attribut d’un autre camp, maîtrise constituant la seule voie capable de conduire à l’amélioration de ce que je ne percevais pas alors très clairement comme ma condition » (Bertrand Belin).
Vrac est un archipel de fragments, poèmes, anecdotes, affirmations, adages, définitions, pensées pour tenter de dire son enfance, ses origines. Naïveté, brutalité, drôlerie, raccourcis, emphase, bêtise, tout concourt à l’édification d’un témoignage morcelé, celui de la vie de bertrang, de la famille des belin, enfant, adolescent, avatar se rêvant en « grand professeur ». Mais les normes de la langue sont malmenées, en dépit d’une ostentatoire allégeance à la beauté des formes écrites. Ce bertrang, explique l’auteur, « s’exprime par ma voix, et moi par la sienne, nous exposant aux autres, en réponse à un désir puissant de clarté enjambant les décennies. » Les dégradations que subit la langue dans Vrac (grammaticales, syntaxiques, maladresses, boursouflures, lyrisme fané, néologismes) sont au service d’une confrontation directe avec la jeunesse et l’enfance de l’auteur, marquées par la rudesse des rapports sociaux, familiaux, par le spectacle de l’étrange vie des autres (familles, camarades, télévision). Vrac singe les formes existantes de littérature du fragment sans aucune ironie, de bonne foi, par admiration et dévotion, use des ressources bouleversantes de la naïveté, au service d’un témoignage, d’un aveu, d’une parole impossible à garder.