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Sociologie de la vieillesse et du vieillissement

Publié le 23 juillet 2008 par Anonymeses
Sociologie de la vieillesse et du vieillissement Un ouvrage de Vincent Caradec (Armand Colin, coll. "128", 2008

« La vieillesse n’est-elle qu’un mot ? » aurait pu se demander Pierre Bourdieu [1]. La vieillesse est, en effet, difficile à définir, tant se recouvrent ou s’opposent une série de termes, tous sources d’enjeux : personnes âgées, vieillards, troisième âge, quatrième âge, aînés, retraités, seniors, etc. Il n’est guère simple de déterminer le seuil d’entrée dans la période de la vie communément appelée vieillesse. Justement, c’est là que dans le sens commun, le bât blesse, ou qu’il y matière à « prénotions », comme l’aurait écrit Durkheim [2],. Si la catégorie statistique des « personnes âgées » fixe le seuil à 60 ans, bien des sexagénaires refuseraient un tel classement. Une seule certitude pour commencer, la vieillesse s’est profondément transformée. Désormais, elle est devenue pour tous, bien qu’avec de profondes inégalités, une étape normale de l’existence. Les systèmes de sécurité sociale associés aux progrès considérables de la médecine ont permis d’augmenter la durée de la retraite. Alors qu’en 1950 un homme partant en retraite à 65 pouvait espérer vivre une douzaine d’années, aujourd’hui l’espérance de vie à 60 ans est supérieure à vingt ans pour les hommes et à vingt cinq pour les femmes. Ce constat simple a cependant des conséquences nettement plus complexes au niveau de l’identité sociale, de l’intégration, des comportements sociaux de ces nouvelles catégories de population. Parallèlement à cette évolution, le regard sociologique a changé. La part croissante de la population âgée et sa désignation comme cible des politiques publiques, dès les années 1960 avec le rapport Laroque en particulier, ont attiré l’attention sur ce groupe, suscitant les contributions des sociologues et la mise en place de programmes d’étude. La théorie sociologique s’est également pluralisée, l’appartenance de classe n’étant plus considérée comme omnisciente et totalisante. Les travaux se sont davantage centrés sur les vécus individuels du vieillissement. Ainsi, on ne parle plus de la vieillesse comme d’un état mais comme d’un processus.

Cet ouvrage présente en trois chapitres, les trois objets principaux de la sociologie de la vieillesse et du vieillissement. Tout d’abord l’étude de la construction sociale de la vieillesse, de ses représentations, et de rapports intergénérationnels qu’elle met en forme. Ensuite, il s’agit de la présentation du groupe des « personnes âgées ». L’hétérogénéité de ses conditions et modes de vie pose le problème de la définition de ce groupe, conduisant à une typologie plus complexe. Enfin, il s’agit des études analysant la vieillesse au regard de l’expérience individuelle, de l’évolution du rapport au monde social et des étapes de ce processus.

C’est la mise en place des systèmes de sécurité sociale et l’invention de la retraite qu’elle se concrétise. C’est au XIXe siècle, que s’est engagée l’histoire des retraites modernes, retracée dans son premier chapitre par Vincent Caradec. A la fin du XIXe siècle, la conception de la retraite comme récompense pour les services rendus à la société à travers une vie de travail s’impose contre celle qui y voyait une forme de protection contre l’invalidité. L’âge en est venu à être considéré pour lui-même et non plus seulement comme un symptôme d’incapacité physique. Avec la mise en place des retraites, la vieillesse se révèle comme problème social et met à jour la nécessaire intervention publique. La formation du droit social à la retraite a constitué un enjeu majeur des politiques de la vieillesse jusque dans les années 1960, comme le montre Anne-Marie Guillemard [3]. Aujourd’hui, en France comme dans la plupart des pays industrialisés, la retraite réapparaît sur l’agenda politique à travers une double question : celle des fins de carrière et celle de la réforme des systèmes de retraite. Le consensus progressivement établi sur le bien-fondé et la justice de sortie anticipée du marché du travail des salariés âgés a fait place à sa remise en cause. Des mesures ont été prises, qui ont réduit l’accès aux dispositifs publics de préretraite et renchéri le licenciement des salariés quinquagénaires (contribution Delalande), le but étant désormais de favoriser le prolongement de la vie professionnelle des 55-64 ans. Les modalités du passage à la retraite ont été profondément renouvelées, Anne-Marie Guillemard [4] considère que ces changements contribuent à une décomposition de l’organisation ternaire du cycle de vie qui était au cœur de la société industrielle salariale. Mais les retraités ne forment pas toute la vieillesse. D’autres découpages redéfinissent les frontières. Le terme de « troisième âge » a connu une large diffusion au cours des années 1970 : véhiculant une éthique activiste de la retraite, ce vocable nouveau s’est trouvé défini en opposition à la vieillesse, le « troisième âge » aspirant à être une nouvelle jeunesse. En se définissant contre la vieillesse, le « troisième âge » a laissé de côté la partie la plus âgée de la population. Un temps appelé « quatrième âge », cet ensemble a bientôt été identifié aux « personnes âgées dépendantes », destinataires d’un nouveau dispositif de politique sociale. Ce sont les médecins gériatres qui, dans les années 1970, ont les premiers parlé de dépendance à propos des déficiences physiques des personnes âgées. Au début des années 90, c’est le terme senior qui apparaît. Lui vient tout droit du monde du marketing. Le terme a connu un rapide succès et s’est imposé pour désigner les personnes de 50 ans et plus, mais aussi parfois les 60 ans et plus, (comme pour la « carte senior » de la SNCF), ou encore les 55 ans et plus, voire les 45 ans et plus (quand on focalise le regard sur les salariés âgés). Le succès de la notion tient à son flou et son ambiguïté. L’enjeu de tous ces termes est de « délimiter » la vieillesse : la multiplicité des termes témoignant de la labilité des représentations sociales de celle-ci, comme en témoigne la troisième partie du chapitre 1.

Le danger de toutes les étiquettes est d’homogénéiser et de décontextualiser de façon outrée un groupe aux facettes hétérogènes. C’est ce que dénonçait Pierre Bourdieu avec sa fameuse expression « La jeunesse n’est qu’un mot » [5], et c’est l’écueil qu’évite Vincent Caradec avec son deuxième chapitre, intitulé, « Les personnes âgées, un groupe d’âge hétérogène ». Il montre que le critère des pratiques est un indicateur beaucoup plus pertinent pour caractériser ce groupe. Mettant en évidence la spécificité des pratiques des personnes âgées, plus souvent pratiquées au domicile, moins « actives », tant pour les activités culturelles et sportives, moins tournées vers les technologies nouvelles, l’auteur montre à quel point cette description ne saurait épuiser la réalité sociale. Les pratiques apparaissent extrêmement variées selon la tranche d’âge considérée, les sexagénaires se différenciant nettement des septuagénaires ou octogénaires, par exemple en ce qui concerne l’équipement en ordinateur et l’accès à Internet, les départs en vacances ou encore l’engagement bénévole. La diversité renvoie à des effets d’âge, de génération, mais également au milieu social et au sexe. Pour aller plus loin dans l’analyse de la diversité des pratiques des personnes âgées, Caradec revient sur plusieurs typologies des pratiques de retraite : celle de Guillemard [6], qui distingue la retraite-retrait, retraite-troisième âge, la retraite-consommation, la retraite-revendication et la retraite-participation et celle de la Fondation nationale de gérontologie [7], fondée sur une analyse factorielle portant sur les réponses de retraités âgés de 62 ans à des questions concernant leurs activités, leur sociabilité et leurs sentiments par rapport à la retraite. Vincent Caradec montre également que la population âgée peut se mobiliser et revient sur des analyses peu connues, des mobilisations de retraités. Le rapport Laroque de 1962 préconisait le développement des associations visant l’intégration des personnes âgées. Ces fameux « clubs du troisième âge » ont rencontré un grand succès, participant à la construction du « troisième âge » comme classe de loisir pour les personnes de milieu populaire. De la même manière les universités du troisième âge ont connu l’engouement des classes moyennes. Le mouvement revendicatif des retraité est porté par les sections syndicales d’anciens salariés d’une part, et par les fédérations d’associations de retraités qui, contrairement aux syndicats, se veulent les porte-parole des retraités en tant que groupe social portant des enjeux propres. Ainsi, Jean-Philippe Viriot-Durandal [8] montre que ces fédérations ont élargi leur actions en réaction aux politiques publiques menées dans les années 1980 et 1990, dans le but d’obtenir une revalorisation des pensions, ou pour s’opposer à l’application de la CSG sur ces pensions au motif de l’absence de contrepartie qui concerne uniquement la baisse des cotisations sociales des actifs. Elles se sont également mobilisées pour la création d’une allocation dépendance. Il est vrai cependant que leur poids sur le débat public reste limité, malgré un nombre important d’adhérents (2 millions pour la confédération française des Retraités). Sur cette question la comparaison avec le cas états-unien est intéressante puisque la mobilisation, plus ancienne, y est, beaucoup plus forte et revendicative.La quatrième partie de ce second chapitre s’intéresse ensuite, dans l’ambition de synthèse qui est celle de la collection 128, aux études de populations âgées particulières : les jeunes retraités, les personnes très âgées, les personnes âgées dépendantes, les personnes vivant en maison de retraite et, plus récemment, les personnes âgées immigrées.

Le troisième et dernier chapitre de l’ouvrage appréhende la vieillesse à travers le processus de vieillissement. Il s’agit de saisir ensemble le processus de vieillissement, objectivé et contextualisé par le sociologue, et le vécu de l’avancée en âge. Caradec fait d’abord un détour par les théories du désengagement et de la déprise. Elaine Cumming et William Henry [9] proposent une vision du vieillissement normal qui doit s’accompagner d’un désengagement de la personne qui vieillit, se traduisant par une diminution du nombre de rôles sociaux joués par l’individu, par une baisse de ses interactions sociales et par un changement dans la nature de ses relations qui sont désormais davantage centrées sur les liens affectifs et moins sur la solidarité fonctionnelle. Le désengagement est un processus fonctionnel, permettant d’atteindre un équilibre, il est réciproque, irréversible et universel. Bien que certaines critiques radicales aient contesté les fondements de ces analyses, on trouve aujourd’hui des prolongements de ces analyses, à travers David Unruh [10] qui étudie l’engagement des personnes âgées dans des « mondes sociaux » et Serge Clément et Marcel Drulhe [11], qui forgent le concept de déprise. En abandonnant les théories fonctionnalistes de l’activité et du désengagement pour des études constructivistes et interactionnistes, la sociologie du vieillissement a changé de visage. Comme telle, elle s’est intéressée à l’expérience du vieillissement ordonnée autour de deux expériences : devenir vieux, puis être vieux. Dans ces processus, les autres interviennent de façon majeure, de sorte que vieillissement est d’abord un phénomène relationnel, comme le démontre Vincent Caradec dans la 3ème partie de ce chapitre. Les relations entretenues avec l’entourage et les interactions quotidiennes sont co-productrices du vieillissement, mais aussi des supports du processus. Interrogations sur leurs aptitudes, manque de patience ou attitude protectrice ou condescendante sont autant de signes qui, pour les personnes âgées, les classent dans la catégorie des personnes âgées. La difficulté des interactions avec les gens et avec les choses constitue ainsi un déclencheur de la déprise, contribuant au repli sur l’espace domestique. Trois moments marquants du vieillissement, Caradec les nomme « moments de transition », informent cette expérience : la retraite, le veuvage et l’entrée en maison de retraite. Au total, Vincent Caradec nous offre avec cet ouvrage, une synthèse bienvenue, stimulante et de lecture aisée.

par Benoit

[1] « La jeunesse n’est qu’un mot », entretien avec Anne-Marie Métailié, paru dans Les jeunes et le premier emploi, Paris, Association des Ages, 1978, pp. 520-530, et repris in Questions de sociologie, Éditions de Minuit, 1984. Ed. 1992 pp.143-154.

[2] Durkheim, Emile, Les Règles de la méthode sociologique, 1894

[3] Guillemard, Anne-Marie, Le déclin du social. Formation et crise des politiques de la vieillesse, Paris, PUF, 1986.

[4] Guillemard, Anne-Marie, L’Age de l’emploi. Les sociétés à l’épreuve du vieillissement, Paris, Armand Colin, 2003

[5] Entretien avec Anne-Marie Métailié, paru dans Les jeunes et le premier emploi, Paris, Association des Ages,1978, pp. 520-530. Repris in Questions de sociologie, Éditions de Minuit, 1984. Ed. 1992 pp.143-154

[6] Guillemard, Anne-Marie, La Retraite, une mort sociale, Paris, Mouton, 1972.

[7] Paillat, D (sous dir.), Passages de la vie active à la retraite. Paris, PUF, 1989.

[8] J.-P. Viriot-Durandal, Le pouvoir gris. Sociologie des groupes de pression de retraités, Paris, PUF, 2003.

[9] Cumming, E, Henry, W, Growing Old. The Process of Disengagement, New York, Basic Books, 1961.

[10] D. Unruh, Invisible Lives. Social Worlds of the Aged, Beverly Hills, Sage, 1983.

[11] Clément, Serge et Drulhe, Marcel, « Vieillesse ou vieillissement ? Les processus d’organisation des modes de vie chez les personnes âgées », Les Cahiers de la Recherche sur le Travail Social, no 15, 1988, p. 11-31


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