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La mort d'Albert Caraco

Par Jlk

Caraco3.jpgGénie inclassable, philosophe, grand écrivain (1917-1971). A découvrir: le site qui lui est consacré.

“J'attends la mort avec impatience, écrivait Albert Caraco, et j'en arrive à souhaiter le décès de mon père, n'osant me détruire avant qu'il ne s'en aille. Son corps ne sera pas encore froid que je ne serai plus au monde.”
Caraco n'était pas de ceux qui se paient de mots. Plein de ressentiment et de mépris envers le monde et les hommes de ce temps, proche à la fois du courtisan pour ses goûts de société, et du nihiliste désespéré par ses idées apocalyptiques, le dernier acte de cet apôtre des civilités fut, comme en ont témoigné les traces de sang retrouvées sur les tapis et les parois de l'appartement parisien où il vivait avec son père, de se traîner, les poignets entaillés, ses esprits succombant aux barbituriques et le gaz ouvert, jusqu'aux plombs qu'il parvint à débrancher in extremis, crainte que l'étincelle du timbre de l'entrée ne fasse tout sauter. Lui qui se faisait une fête des plus sombres prédictions...
Pauvre Caraco ! Quelles pouvaient bien être ses pensées au moment de ces préparatifs ? Etait-il serein derrière son masque de Chinois, ou bien a-t-il versé des larmes comme j'imagine qu'a dû le faire le petit garçon qu'il fut, tel qu'il l'évoque dans l'inoubliable Post Mortem, dont la mère abusive scotchait les mains chaque soir afin de le dissuader de se toucher ?
Le galant homme eût fort bien pu se retirer dans l'indifférence de ses palaces et cultiver son jardin d'érudit universel, au lieu de quoi ce prophète de malheur n'a eu de cesse de clamer ses vérités dans le désert, sans parvenir jamais à capter l'attention, plus que maudit: ignoré. Autant que Nietzsche, il nous provoque et nous bouscule dans le chaos de ses proférations tantôt éclairantes et tantôt intempestives, mais voudrions-nous le suivre dans ses conclusions sans lui donner entièrement raison que nous le trahirions du même coup - d'où le malaise qu'on éprouve le plus souvent à le fréquenter, et la difficulté de son bon usage.

Albert Caraco, né en 1919, s'est suicidé en septembre 1971, dans la nuit qui suivit la mort de son père. Tous ses livres sont publiés aux éditions L'Age d'Homme. A lire en priorité: Post Mortem, Ma confession, La luxure et la mort, Le galant homme.

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Post Mortem (la première page)

Madame Mère est morte, je l'avais oubliée depuis assez de temps, sa fin la restitue à ma mémoire, ne fût-ce que pour quelques heures, méditons là-dessus, avant qu'elle retombe dans les oubliettes. Je me demande si je l'aime et je suis forcé de répondre: Non, je lui reproche de m'avoir châtré, c'est vraiment peu de choses, mais enfin... elle m'a légué son tempérament et c'est plus grave, car elle souffrait d'alcalose et d'allergies, j'en souffre encore bien plus qu'elle et mes infirmités ne se dénombrent pas et puis... et puis elle m'a mis au monde et je fais profession de haïr le monde.

Post Mortem, La Merveilleuse collection. L'Age d'Homme, 1968.

Le site conssacré à Albert Caraco vient d'être réactualisé par Bruno Deniel-Laurent: http://albertcaraco.free.fr/


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