La crise sanitaire et ses conséquences – entre autres – économiques constituent un déclencheur des évolutions en cours, ne serait-ce que par leur impact sur le niveau d'adoption par les usagers des outils de relation à distance, dont Frédéric Oudéa se félicite au passage qu'il ait démontré la maturité « digitale » de l'établissement, après en avoir, en effet, parfaitement supporté le choc. Et puis, en embuscade, les enjeux de la responsabilité sociétale et environnementale induisent leurs exigences additionnelles.
Cependant, face à ces constats, Société Générale affirme une orientation originale, puisque, devant l'efficacité opérationnelle (intégrant la rentabilité) et l'inscription dans une logique multidimensionnelle de finance responsable, elle place son désir (son besoin ?) de se recentrer sur ses clients. Cette priorité nouvelle serait au cœur des réflexions actuelles sur la fusion des réseaux avec ceux du Crédit du Nord et serait soulignée, par exemple, par une culture de l'expérience utilisateur et le succès de Boursorama.
L'intention est excellente et marque un vrai tournant pour une institution représentative d'un domaine d'activité historiquement focalisé sur ses produits (et leur vente). Malheureusement, elle n'est pas toujours soutenue par le discours et les faits. Je remarque notamment que la présentation de Frédéric Oudéa aborde la digitalisation, les plates-formes, les technologies et le sytème d'information, le cloud, les modèles d'affaires… mais à aucun moment il n'est question de conseil ou d'accompagnement.
La raison d'être de Société Générale, citée en illustration, porte elle-même une certaine ambiguïté dans ce registre. Dans l'expression « construire ensemble, avec nos clients, un avenir meilleur et durable en apportant des solutions financières responsables et innovantes », l'accent reste mis sur les solutions, le client n'y apparaissant que comme un contributeur à la création. Où est donc l'impérieuse poursuite de la satisfaction, ou, mieux encore, du bonheur et du bien-être, des consommateurs de services financiers ?
Ce n'est qu'au détour d'une question de l'assistance, à propos de l'expérimentation d'une option payante par BNP Paribas, que Frédéric Oudéa parle (enfin !) de conseil, en prenant une position radicale étonnante. Il estime que, dorénavant, les clients particuliers sont accoutumés aux canaux en ligne pour leurs opérations courantes ou leurs besoins de crédit, et que seule l'épargne, dans toute sa diversité, requiert toujours une expertise humaine, qu'il faut nécessairement payer, sous une forme ou une autre.
Le modèle qu'il nous propose ne serait, finalement, qu'une sorte de généralisation de la banque privée, avec une relation de proximité facturée pour la gestion de « patrimoine » et des outils web et mobiles pour tout le reste. Sa ligne de démarcation suit une distinction entre des produits complexes, qui ne peuvent être expliqués que par un conseiller, et simples, qui peuvent être manipulés en totale autonomie. En quelques mots, toute possibilité d'automatiser un accompagnement d'épargne sophistiqué est balayée !
Je crains que cette perception de la banque de demain ne reflète un travers persistant dans les approches de transformation « digitale », trop souvent confondues avec des démarches d'informatisation dont la seule vocation est de rationaliser les processus existants, au lieu de viser à répondre aux nouvelles attentes des clients : en l'espèce, leur apporter la capacité à profiter de services jusqu'alors inaccessibles (la banque privée) grâce à des technologies capables d'en assurer l'essentiel à moindre coût.
En conclusion, il faut se réjouir que Société Générale prenne conscience de l'importance critique de placer le client au cœur de ses préoccupations, surtout dans un moment où elle se trouve « chahutée ». Il lui reste toutefois – comme à la plupart de ses consœurs – beaucoup de chemin à parcourir pour transformer ce vœu en réalité, sans se perdre sur les chemins de traverse qu'ouvrent les concepts à la mode (API, open banking, data science, IA…) quand ils restent déconnectés des vrais besoins qu'ils doivent servir.