Le massacre de Charlie Hebdo nous rappelle tragiquement le coût de la liberté d’expression. Aujourd’hui, qui menace donc la liberté d’expression ?
Plusieurs titres de presse se sont unis à l’initiative du directeur de publication de Charlie Hebdo pour défendre la liberté d’expression dans une « lettre ouverte ». Le texte alerte sur les menaces totalitaires sans précédent qui pèse sur l’expression libre des idées en France, au moment où se déroule le procès des assassins de la rédaction de Charlie Hebdo :
« Aujourd’hui, en 2020, certains d’entre vous sont menacés de mort sur les réseaux sociaux quand ils exposent des opinions singulières. Des médias sont ouvertement désignés comme cibles par des organisations terroristes internationales. Des États exercent des pressions sur des journalistes français « coupables » d’avoir publié des articles critiques. »
Cet appel salutaire rappelle tragiquement que la liberté d’expression a un coût, et que ce coût est d’abord humain. Il pèse lourdement sur ceux qui prennent la responsabilité de parler sans fard. Les journalistes, les lanceurs d’alerte et les citoyens engagés qui prennent la parole ne craignent plus seulement pour leur réputation et leur carrière, mais aussi pour leur intégrité physique.
LE LOURD TRIBUT PAYÉ PAR LES JOURNALISTES ET LES DESSINATEURS POUR VOUS INFORMER
La tragédie de Charlie Hebdo nous rappelle tous les jours le tribut payé par les journalistes et les dessinateurs pour défendre la liberté contre les fanatiques et les censeurs. Ce ne sont pas seulement les morts sous les balles des terroristes, mais aussi des journalistes obligés de vivre quotidiennement sous protection policière depuis 5 ans pour éviter le pire.
Si les médias et les journalistes paient un lourd tribut pour défendre la liberté d’expression, cette lettre ouverte est aussi l’occasion d’un enseignement essentiel : il s’agit d’un droit naturel protégé par la déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, et ce droit appartient à tout le monde.
Aucun citoyen ne devrait être inquiété pour ses opinions politiques ou religieuses, y compris et en particulier quand ces opinions ne font pas l’unanimité, qu’elles sont particulièrement controversées, abrasives ou stupides. Tout le monde est donc concerné par ce droit inaliénable.
En effet, le coût de la liberté d’expression ne pèse pas seulement sur les épaules de ceux qui émettent lesdites opinions. En régime libéral et pluraliste, le public doit pouvoir endurer les opinions les plus diverses, parfois même aux antipodes de ses convictions profondes au nom de la tolérance civile et de la libre circulation des idées.
D’OÙ VIENNENT LES MENACES ?
Les menaces qui pèsent sur la liberté d’expression viennent autant des factions qui divisent la société que d’un État qui cherche à contrôler et encadrer une parole publique qu’il juge anarchique et dangereuse pour ses propres intérêts. Les factions religieuses ou identitaires se sont réveillées, dans la rue comme sur les réseaux sociaux, pour appeler à la censure et l’intimidation physique des voix dissidentes.
L’affaire Mila, la cancel culture, la remise en question de la liberté de blasphémer, toutes ces pratiques de minorités tyranniques font désormais partie de notre quotidien et cherchent à éteindre par le bas le débat public.
Mais l’État et son personnel politique ne montrent pas l’exemple, bien au contraire. Sous la pression des groupes d’intérêts et des intérêts factieux, les lois liberticides et les pratiques autoritaires se multiplient dans l’indifférence générale.
Au Royaume-Uni, le procès de Julian Assange nous rappelle que la Chine n’est pas seule dans la course au contrôle des populations et à la punition des dissidents, et que les États-Unis et leurs alliés, au nom de la guerre contre le terrorisme, sont également prêts à criminaliser le journalisme d’investigation quand ils font leur travail. Chine, Biélorussie, Russie, Turquie, etc. Partout dans le monde, la liberté d’expression recule.
LIBERTÉ D’EXPRESSION MENACÉE PAR L’ÉTAT
En France, les lois qui encadrent la liberté d’expression au nom des meilleures intentions du monde, non seulement censurent, punissent et envoient en prison, mais génèrent une véritable armée de réserve de groupes d’intérêts spéciaux, de supplétifs de police et d’associations para-étatiques instrumentalisant la justice pour dresser et faire taire les voix discordantes par les procès divers et variés.
Dernièrement, la loi Avia devait autoriser la censure élargie des réseaux sociaux au nom de la lutte contre le racisme, le terrorisme et d’autres pathologies sociales que l’État se fait fort d’éliminer depuis des décennies et des décennies (sans succès évidemment). Heureusement, le Conseil constitutionnel en a retoqué les principales dispositions. Hélas, la loi mis à la porte nationale revient par la fenêtre européenne. Le gouvernement français est en train de demander à la commission européenne de faire adopter au niveau européen ce qu’elle n’a pas pu adopter au niveau français à cause de la censure du Conseil constitutionnel.
L’État se doit de protéger l’exercice de la liberté d’expression qui appartient à tout citoyen, parce que la contrainte ne peut pas convaincre les individus. Seuls le débat public, l’éducation et l’échange d’idées peuvent faire progresser les Hommes.
C’était déjà le sens des écrits de John Locke sur la tolérance (1689), qui défendait l’idée de la nécessité de protéger le pluralisme raisonnable au sein de la société. Protéger l’exercice de la liberté d’expression suppose aussi de protéger l’indépendance des médias, y compris du pouvoir politique, de ses lois liberticides comme de ses subventions ou de sa tutelle plus ou moins bienveillante.
LES ENNEMIS DE LA LIBERTÉ PERDRONT
En France, nous en sommes encore loin. Le régalien qui devrait assurer la sécurité de tous est en crise, et l’État-providence s’est perdu dans le clientélisme le plus démagogique et le plus irrationnel.
Le massacre de Charlie Hebdo nous rappelle tragiquement le coût de la liberté d’expression. Aujourd’hui, qui menace donc la liberté d’expression ? Les totalitarismes, le fanatisme religieux, les factions irrationnelles, mais aussi les États et les politiciens peu scrupuleux, tous unis pour tenter d’en finir avec la liberté individuelle qui en est le moteur essentiel. Ils perdront.