Critique de Bérénice, de Racine, vue le 13 octobre 2020 au Théâtre de la Villette
Avec Tariq Bettahar en alternance avec Geert Van Herwijnen, Thomas Fitterer, Solenn Goix, Julien Leonelli, Sylvain Méallet, Amélie Oranger, Henri Payet, dans une mise en scène de Robin Renucci
Je me souviens parfaitement de ma première confrontation à Bérénice. C’était à la Comédie-Française, dans une mise en scène de Muriel Mayette, pas encore Holtz à l’époque. J’avais découvert un texte sublime, mais il m’avait manqué quelque chose. Je me souviens que ma partenaire de spectacle m’avait dit que Bérénice étant sans doute la pièce de Racine la plus sur le fil… Et que le spectacle était un véritable numéro de funambule. Je me souviens tout aussi parfaitement de ma dernière confrontation à Bérénice. C’était pendant le confinement, par la Comédie-Française mais à travers le petit écran cette fois-là. La version de Grüber permettait aux vers de résonner complètement, avec un rythme non pas dramatique mais hiératique. Chose rare, elle tenait parfaitement le coup à travers la télé, grâce à des voix très radiophoniques. Pour moi, c’était comme ça qu’il fallait le monter. Le texte, seulement le texte. C’est ce qui m’a attiré vers la proposition de Robin Renucci. Différente de ce que j’avais pu voir, mais franchement convaincante.
Titus, fils de Vespasien, doit succéder à son père. Il pensait devenir empereur de Rome et pouvoir épouser Bérénice qui alors changerait « le nom de reine au nom d’impératrice ». Mais c’est sans compter la loi de Rome : « Rome hait tous les rois, et Bérénice est reine ». Tout le problème est là, contenu dans ce vers racinien parfait. D’un côté son amour pour la reine de Palestine, de l’autre son devoir envers son peuple. Et à côté, Antiochus, roi de Commagène et ami proche de Titus, qui lui aussi aime Bérénice et lui dévoilera au tout début de la pièce, pour ajouter encore un peu de tragique à cette histoire.
J’ai d’abord eu très peur. Les comédiens entrent en scène masqués, pour recontextualiser l’histoire qui va se dérouler sous nos yeux. J’ai eu peur qu’ils ne gardent les masques dans la suite du spectacle. Heureusement, il n’en était rien. Ce prologue permet d’entrapercevoir ce qui nous sera proposé par la suite : plateau nu, costumes simples, unis ou bicolore, comédiens jouant pieds nus, mise en scène quadrifrontale. Le texte, seulement le texte. Et c’est parti.
© Olivier PasquiersJe savais ce que j’allais voir et n’ai pas été déçue. J’ai toujours eu un faible pour les mises en scène qui faisaient tout tourner autour du texte. J’ai toujours aimé les lectures claires et assumées. Et j’ai toujours eu un gros crush sur Antiochus. C’est plus facile pour moi d’entrer dans le spectacle si le comédien qui incarne Antiochus me convainc. Il est notre premier contact avec le palais. Autant vous dire que j’ai été servie sur un plateau d’argent. Dans un spectacle où l’on n’a rien d’autre que les mots de Racine auxquels se raccrocher, tout va passer par la parole. Par la diction. Cet Antiochus-là vit chacune de ses syllabes. Ce n’est pas le vers qui le trouble, c’est tous les mots qui le détruisent. Julien Leonelli a une diction aussi droite que son personnage : sans chanter l’alexandrin, il est celui qui le marque le plus.
Rapidement, on rencontre Bérénice, qu’Antiochus a fait chercher. Problématique différente, différente vie des mots. Petite appréhension tout d’abord – la comédienne a la voix un peu aiguë, pas ce que je préfère au théâtre. Mais son phrasé me prend. Là où Antiochus n’est que rigueur, elle n’est que passion. L’alexandrin se perd au profit de la phrase. Sa parole n’est qu’un souffle uni qui fait fi de la versification. Elle est emportée par ses mots, par son désir, par son amour, et nous emporte avec elle. Le spectacle avance et elle étonne. Celle qui pouvait d’abord apparaître comme une créature frêle se révèle davantage convaincante dans la force. Sa puissance éclate sur scène. Et elle fait de l’ombre à un Titus un peu inhabituel…
C’est peut-être, du trio amoureux, celui qui m’a le moins convaincue. Peut-être parce que ce n’est pas la vision classique de l’empereur torturé entre son devoir et son amour qui nous est présenté. Le Titus que propose Sylvain Méallet ne provoque pas tant ma pitié. Plutôt mon énervement. Là où les deux autres personnages sont bien définis, il oscille davantage. S’il a quelques intonations grand seigneur, c’est davantage sa lâcheté qui est mise en avant. Il est un Titus projeté trop rapidement sur le trône, il n’a pas les épaules, il n’a pas les mots et se cachent encore derrière des stratagèmes trop enfantins – certaines de ses répliques à Bérénice sonneraient presque comme du chantage. Sa diction est moins sûre que celle de ses partenaires et j’ai du mal à accepter cette version, pourtant cohérente, d’un Titus enfant gâté.
J’aime ce genre de spectacle car j’ai toujours été attirée par l’acteur avant de m’intéresser davantage à la mise en scène. Je dois reconnaître qu’ici, je suis servie. D’ailleurs, si j’ai parlé seulement des trois personnages principaux, je dois dire que l’ensemble de la distribution suit cette excellente servitude au texte – mention spéciale pour Geert Van Herwijnen, un Arsace jeune dont le regard puissant et clair transperce l’assistance. Le texte est roi, la diction et le corps sont ses valets, la mise en scène est un interprète. Rien ne doit faire barrière à l’écoute. Ici, on a une utilisation simple mais très efficace de l’espace quadrifrontal, avec un joli travail sur la diagonale qui permet d’éclaircir encore les différentes situations et de mettre le spectateur au plus près de la langue de Racine.
Le texte, chez Racine, y’a que ça de vrai. Et Renucci l’a parfaitement saisi.
© Olivier Pasquiers