j'ignore si en le laissant sortir
mon coeur s'échapperait
pour ne plus jamais revenir
je l'ignore et je le crains des fois
ainsi je le garde bien enfermé
dans la cage de ma raison
hier après-midi
j'ai mis carlito dans une cage
et pendant que son museau
cognait sur la porte
ses toutes petites pattes
passaient à travers le grillage
et bougeaient en tous sens
pour tenter de franchir la frontière
qui le séparait de sa liberté
jeune et vert
il ne savait pas que de s'échapper
dans les rues de la petite-patrie
avec sa seule fureur
pouvait lui coûter la vie
en lui assénant au passage
une très grande violence
ainsi je le protégeais
de même je protège mon coeur
du chaos dans lequel il me plongerait
si je le laissais errer sans garde
si je ne l'écoutais pas patiemment et savamment
pour le contenir sans le trahir
pour ne pas qu'il aille s'écraser sur les rochers
comme les vagues de l'océan
je n'ai pas envie d'avoir mal
j'ai envie de douceur
je repose mon coeur sur un coussin de satin
dans une cage dorée
que j'astique chaque jour
et je le nourris de petites miettes de bonheur
en le maintenant sous la férule de ma tête
qui prône l'économie des émotions
des fois il pleure un peu
et il se ravise aussitôt
en arrivant à la maison hier
après la visite chez le vétérinaire
j'étais tellement prise de remords
que je n'arrivais pas à débarrer la cage
elle est tombée à terre
et carlito s'en est échappé
il m'en a voulu toute la soirée
il a dormi avec nous hier soir
et ce matin il m'aime encore
mais tout comme mon coeur
il se souviendra de chacune
de ces petites trahisons
en n'en guérira que partiellement
avec le temps il perdra de sa souplesse
et il durcira telle l'écorce du chêne
autour de chacun des noeuds
de ses nombreuses blessures
infinitésimales.