Du 16 octobre au 9 décembre, la Fondation Clément présente dans la Nef l’exposition Code Underground de Wolfric. Wolfric trace ses propres chemins loin des sentiers battus. Il revendique une pratique alternative, underground, libre de tout pré-requis académiques. Il bouscule la tradition picturale et la définition du tableau. A l’heure où la dématérialisation de l’art annoncée dès 1968 par Lucy Lippard et John Chandler caractérise une large part de la création contemporaine, Wolfric s’inscrit dans un processus de rematérialisation (1) en privilégiant la physicalité de l’œuvre.
Les critiques d’art prennent généralement une œuvre de Picasso, Guitare (1912) comme repère de l’abolition des frontières entre les catégories artistiques, peinture et sculpture. Guitare annonce en effet une liberté des pratiques qui ne cessera de s’épanouir jusqu’à aujourd’hui. Confronté à une problématique de peinture : comment indiquer un creux sur un plan, Picasso décida alors d’expérimenter ses idées en trois dimensions et inaugura ainsi une forme de sculpture inédite qui abandonne la taille et le modelage et lui préfère l’assemblage de matériaux inusités.
Les récentes séries de Wolfric sont héritières de cette liberté des pratiques, de cette fusion entre peinture et sculpture. C’est à l’aide de techniques et d’outils de sculpteurs que Wolfric crée des œuvres hybrides, à la fois peinture et sculpture. Wolfric bouscule la tradition picturale et la définition du tableau.
Sur une première plaque offset (le support), peinte à l’acrylique le plus souvent en noir, vient s’appliquer une seconde plaque préalablement travaillée (le matériau). Des outils rudimentaires de sculpteurs participent à un patient processus. Plusieurs étapes articulent tout un jeu de positifs et négatifs. Un premier pochoir sur film radiographique crée la forme en creux (négatif). Elle est transférée sur la seconde plaque offset en positif et en couleur grâce à un spray. Ces formes sont détourées et se détacheront sur le fond noir de la plaque support dans une fusion du positif et du négatif. La plaque offset agit à la fois comme support et matériau.
Rien ne se perd. Tout se recycle. Les résidus de découpe, les formes en positif, sont agglomérés dans une installation sphérique. La démarche de Wolfric est centrée en effet sur l’appropriation et le recyclage : la reconfiguration des caractères hobo, la reconversion de plaques d’imprimerie usagées, la réutilisation des résidus du processus créatif et jusqu’à, quelquefois, la métamorphose de certaines ses œuvres antérieures.
En s’inspirant de l’alphabet hobo, Wolfric élabore un univers de signes et de symboles qui renouvelle le champ iconographique au moyen d’un traitement singulier du métal recyclé. Wolfric s’approprie ces caractères fonctionnels et les transforme en graphes. Alors que les hiéroglyphes peints sur polyphane de la série Hobos sont enchevêtrés, dans la suite des Signes métalliques, ils sont indépendants et parfaitement décryptables pour tout initié. Ce sont des messages et conseils pratiques. Par exemple, le symbole chat indique qu’une gentille femme habite là. La forme initiale est retravaillée, se détache du concret pour devenir esthétique. Souvent, c’est la signification de la première figure qui donne son titre à l’œuvre.
Les grands formats de la série Signes métalliques d’une puissante présence physique, séduisent par leur régularité et leur symétrie. La trame est répétée jusqu’au all – over. La juxtaposition de modules identiques de plaques offset et la répétition des motifs forment comme une double trame sous-jacente qui confère une sensation de stabilité.
Une autre série, Coutures métalliques, poursuit l’exploration du matériau à travers le relief, la suture au fil de nylon, la troisième dimension.
La couleur n’est pas absente et intervient soit pas soustraction soit par addition. Wolfric dilue les résidus d’encre d’imprimerie des plaques. Les teintes deviennent alors translucides et légères. Ou bien il ajoute des éclaboussures, des tâches, des coulures empruntées à l’Action painting. La transition des couleurs d’une œuvre à l’autre des Signes métalliques est particulièrement subtile et fascinante, jusqu’à la brillance de Mirror où le fond noir a disparu. Le choix d’une matière unique, l’aluminium des plaques offset usagées, traduit une quête de cohérence et d’homogénéité.
Ce sont le support et les matériaux utilisés qui définissent la matérialité de l’œuvre. Le support, c’est la surface qui accueille les matières picturales ainsi que les traces des gestes des artistes. C’est un constituant plastique important qui induit outils, médiums et gestes. Il varie tout au long des siècles : parois des grottes rupestres, papier, métal, argile, verre, bois, toile jusqu’à l’apparition du numérique qui dématérialise le support et offre de nouvelles possibilités plastiques. Le matériau, c’est tout ce qui, sur le support, constitue l’œuvre : peinture, encre, pigments, objets.
A l’heure où la dématérialisation de l’art annoncée dès 1968 par Lucy Lippard et John Chandler caractérise une large part de la création contemporaine, Wolfric s’inscrit dans un processus de rematérialisation (1) en privilégiant la physicalité de l’œuvre.
Les qualités plastiques et physiques de l’aluminium lisse, brillant, argenté des plaques offset usagées ont séduit d’autres artistes de la Caraïbe francophone. Quels gestes, quelles procédures ce matériau de rebut, tout juste bon à être jeté, a-t-il inspiré à ces plasticiens ?
A partie du même matériau, Wolfric, Brice Lautric, Jean- Marc Hunt produisent chacun des œuvres originales, singulières, fortement empreintes de leur personnalité.
Brice Lautric, diplômé du campus Caraïbéen des arts en 2014 installe ses photographies dans l’espace dans des œuvres hybrides qui tiennent à la fois de la sculpture et de la photographie. L’image photographique sérigraphiée se déploie ainsi sur le support métallique et rompt ainsi avec la bi- dimensionnalité. Pour ma part, je regrette que les conditions de vie et de travail des jeunes artistes aient arrêté net cette quête plastique même si les nouvelles productions fondées sur le même principe, la sérigraphie de photographies sur plaque offset, ne manquent pas d’intérêt. Les productions récentes abandonnent le volume pour la stricte bi-dimensionnalité et concentrent l’attention sur une autre facette de la démarche de Brice, la transcription de l’effacement, de la disparition, du jeu de la mémoire. Brice travaille à partir de deux images familières qui convoquent chez lui des souvenirs, des anecdotes. Ce sont des auto- paysages. Des images qui dévoilent son moi intime autour des notions d’absence, de souvenir, de nostalgie.
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Ce sont des vanités contemporaines que ce matériau inspire à Jean – Marc Hunt. Les plaques offset en aluminium sont peintes de couleurs vives, découpées, morcelées et suturées par des agrafes métalliques. Ce sont des plaques d’impression du journal France-Antilles et l’intérieur des pièces conservent des traces du texte imprimé. Elles sont façonnées de manière à évoquer des crânes humains, motif récurrent de la production artistique de Jean- Marc Hunt que l’on croise dans ses peintures. Jean – Marc Hunt revisite ce leitmotiv de la peinture du XVII siècle destiné à rappeler aux hommes la brièveté de la vie, la vanité des fausses valeurs, richesse, pouvoir, plaisirs. Il l’inscrit dans la contemporanéité comme Damien Hirst, Jean- Michel Basquiat ou Dubreus Lherisson et lui insuffle ses propres interrogations sur le monde d’aujourd’hui.
Alors que Wolfric le conjugue à la fois comme support et matériau, il reste strictement support chez Brice Lautric et n’a qu’une fonction de matériau chez Jean – Marc Hunt
Dans les œuvres planes de Wolfric et de Brice Lautric, la nature du matériau et plus précisément ses dimensions induisent la création d’une trame par répétition d’un même module.
Cependant les caractéristiques physiques des plaques d’imprimerie s’accordent naturellement avec le volume et la sculpture dans les installations de Brice Lautric en 2014. Ce sont des gestes et des outils de sculpteurs qui participent à la série des Signes métalliques de Wolfric et des Vanités Offset de Hunt. Les productions en relief ou en volume de ces deux plasticiens partagent l’acte de suturer ou de coudre.
C’est un matériau au vaste potentiel dont on peut aussi exploiter les qualités sonores ou mobiles comme le fait par exemple Adrien Lefevbre qui vit Caen en France avec son installation sonore, Offset. Comme l’explique Justine Richard, les plaques captent et répercutent le son sur une basse fréquence oscillatoire dans une combinaison du mouvement et du son.
Dotée de caractéristiques matérielles, susceptibles de se plier à l’inépuisable imaginaire des plasticiens, la plaque offset nous réserve sans doute bien d’autres découvertes esthétiques.
Dominique Brebion
Le terme hobo, dont l’étymologie est incertaine, désigne un travailleur itinérant qui, au moment de la Grande dépression, sillonne les États-Unis en quête de petits boulots et de bonnes combines. Victimes de la misère provoquée par les changements profonds consécutifs à l’industrialisation et urbanisation qui affectent la société américaine du début du xxe siècle, ils voyagent par la route mais aussi dans les trains de marchandises dans lesquels ils montent clandestinement. Pour échanger des informations sur les régions où trouver de l’emploi et mener une vie stable, les hobos laissent des symboles dessinés à la craie ou au charbon.
Terme emprunté à François Dagonnet