" Nous étions une société d'individus libres. Nous sommes une Nation de citoyens solidaires. " (Emmanuel Macron, le 14 octobre 2020 sur TF1 et France 2).
Le mot est lâché : le couvre-feu. Pour une guerre, c'est un mot normal. À partir du samedi 17 octobre 2020 à zéro heure, un couvre-feu est décrété de 21 heures à 6 heures du matin dans l'Île-de-France, et dans huit agglomérations en alerte maximale : Lyon, Aix-Marseille, Toulouse, Grenoble, Saint-Étienne, Rouen, Montpellier et Lille, pour au moins quatre semaines et si ratifié par le Parlement, jusqu'au 1 er décembre 2020. Couvre-feu ou confinement nocturne.
Le Président de la République Emmanuel Macron a accordé une interview de quarante-quatre minutes sur la crise sanitaire actuelle, à l'Élysée ce mercredi 14 octobre 2020 à 20 heures sur TF1 (Gilles Bouleau) et France 2 (Anne-Sophie Lapix). Une intervention télévisée qui était annoncée deux jours auparavant et qui a fait l'objet de nombreuses supputations, en particulier sur le choix d'un couvre-feu soit à 20 heures soit à 22 heures. En bon centriste, Emmanuel Macron a tranché, et coupé la poire en deux.
Il était temps que le Président de la République reprît la parole formellement sur la crise du covid-19. Trois mois qu'il n'avait pas eu des paroles solennelles sur le sujet. Il a décrit trois raisons d'espérer : être lucides, être collectifs et être unis. La lucidité a peut-être manqué pendant l'été. C'est ce qu'estime le professeur Gilbert Deray. Tant que les lits en réanimation n'étaient pas occupés massivement, ces médecins qui alertaient n'étaient pas écoutés. Maintenant, c'est un peu tard. Emmanuel Macron a désormais la lucidité de dire ce qu'il aurait fallu dire depuis longtemps : nous vivrons avec coronavirus au moins jusqu'en été 2021, cela devient une évidence.
Soyons clairs, la situation sanitaire de l'épidémie de covid-19 est alarmante sans être encore catastrophique, mais la catastrophe se voit à l'horizon. Malheureusement, une épidémie est facilement prévisible à trois ou quatre semaines d'anticipation si on a une bonne idée de la circulation du virus, ce qui est le cas aujourd'hui avec les 1,2 à 1,3 million de tests PCR réalisés chaque semaine. Il faut être clair et insister : le gouvernement a réagi trop tardivement face à ce qui est le rebond de la première vague (ce qui n'est pas, à mon sens, une seconde vague). Pendant tout l'été, le gouvernement n'a eu aucun discours pour maintenir la vigilance sanitaire au plus haut niveau en ne misant que sur le retour de l'activité économique. La rentrée de septembre a eu le goût d'un lendemain de cuite. Une douche froide. Nous y sommes replongés.
Le rythme actuel est préoccupant : 20 000 nouvelles contaminations par jour (ce 14 octobre 2020, 22 591), 200 entrées en réanimation par jour (ce qui fait 1 673 malades du covid-19 en réanimation), et entre 80 et 120 décès par jour (ce 14 octobre 2020, 104 décès, faisant franchir le seuil de 33 000 décès depuis le début de l'épidémie, exactement 33 037).
Le couvre-feu est peut-être la mesure la plus dramatique, mais il faut se réjouir que ce n'est pas un reconfinement généralisé comme au printemps. Cela va impacter bien sûr sur les restaurants, bars, cinémas, théâtres, etc. qui seront à nouveau largement aidés financièrement par l'État. Au-delà du renforcement des mesures de chômage partiel et d'assouplissement de ses prêts, l'État aidera les bénéficiaires du RSA et des APL avec 150 euros minimum et 100 euros par enfant.
La mesure impacte évidemment plus les jeunes que les moins jeunes. L'idée n'est pas de réduire l'activité économique, mais de cibler ces fameuses soirées privées qu'il est impossible constitutionnellement de réglementer (au contraire d'autres pays comme le Canada, l'Italie, etc.).
Pour se délacer entre 21 heures et 6 heures dans une zone d'état d'urgence sanitaire, il faudra donc avoir une attestation dérogatoire. Pas d'obligation sans sanction : une amende de 135 euros est prévue en cas d'infraction à cette règle, 1 500 euros en cas de récidive. Dans les premiers sondages réalisés après l'intervention d'Emmanuel Macron, cette mesure du couvre-feu est plébiscitée par les personnes sondées (à plus de 80% et 60% auraient trouvé convaincant le Président de la République).
Au début de son intervention, Emmanuel Macron a insisté sur la gravité du coronavirus : d'une part, ceux qui l'ont peuvent avoir des séquelles graves, d'autre part, il s'attaque à tout le monde, la moitié de ceux qui entrent en réanimation ont moins de 65 ans. Il n'a pas exclu un reconfinement généralisé en cas d'inefficacité de ce couvre-feu (l'objectif est de ramener le nombre de contaminations quotidiennes de 20 000 à 3 000).
Répétant plusieurs fois qu'il entendait prendre des mesures proportionnées à la gravité, Emmanuel Macron a exclu l'idée de limiter les déplacements entre les régions et à la question de se demander si, pendant les vacances de la Toussaint, il n'y avait pas risque de propagation du virus, il a répondu que juste avant le confinement, beaucoup de Parisiens avaient quitté précipitamment la ville pour la campagne et il n'y a pas eu de propagation du virus dans les campagnes (seuls l'Est et Paris ont été touchés au printemps).
En recommandant très mollement le télétravail (il a reconnu que l'isolement social n'était pas une bonne chose et qu'il fallait aussi rencontrer les gens physiquement dans son travail), et en ne modifiant pas la fréquence des transports en commun (même la nuit), Emmanuel Macron se retrouve dans la double injonction paradoxale, celle de l'isolement sanitaire et celle de l'activité économique. Concrètement, en plaçant le seuil à 21 heures, il y a fort à parier que les retours de travail des 10 millions de Franciliens se feront sur une plage horaire plus courte, donc de manière plus dense dans les transports en commun et pour la circulation automobile.
Dans cette interview, il a manqué aussi la question sur le report éventuel des élections départementales et régionales prévues en mars 2021. C'est maintenant évident que le virus sera encore en circulation jusqu'au début de l'été prochain, mais reporter ces élections pourraient être politiquement très contesté. À la différence des élections municipales de 2020, le gouvernement a au moins quelques mois et le temps de faire les choses dans le cadre d'une loi normale.
Emmanuel Macron a voulu cependant terminer sur une note plus positive, sur le fait que la crise sanitaire était une affaire qui concerne tous les Français et qu'elle pourrait unir toute la Nation pour le bien commun. Je pense qu'il était nécessaire d'avoir une communication de crise afin d'avoir l'effet d'un électrochoc. Une prise de conscience salutaire. Il aurait été souhaitable de l'avoir fait il y a un mois, mais il vaut mieux tard que jamais. Lorsqu'on prend des mesures efficaces, on peut freiner la circulation du virus, c'est ce que prouvent déjà deux agglomérations, pourtant parmi les premières "mauvaises élèves", Bordeaux et Nice, qui n'auront donc pas de couvre-feu.
En disant d'ailleurs qu'il fallait arrêter de discutailler sur les faits, sur la réalité de la situation épidémique, le Président de la République a peu de chance d'avoir convaincu complotistes et autres opposants paranoïaques. Au moins, les sondages indiquent clairement qu'ils sont ultraminoritaires et c'est heureux, car cela signifie que leur voix discordante aura peu d'effet sur le plan sanitaire, juste à la marge.
Enfin, terminons sur le fait qu'Emmanuel Macron n'a pas évoqué une seule fois le vaccin contre la grippe, disponible depuis ce 13 octobre 2020, ce qui est pourtant très important dans un contexte de crise du covid-19. Comme quoi, décidément, le sanitaire n'est pas la zone de confort du Président de la République, plus épanoui dans la confection d'un plan de relance économique...
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (14 octobre 2020)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Interview du Président Emmanuel Macron le 14 octobre 2020 sur TF1 et France 2 (vidéo).
Emmanuel Macron et l'électrochoc du confinement nocturne.
Au Panthéon de la République, Emmanuel Macron défend le droit au blasphème.
France Relance, 100 milliards d'euros pour redresser la confiance française.
Relance européenne : le 21 juillet 2020, une étape historique !
Emmanuel Macron face aux passions tristes.
Convention citoyenne pour le climat : le danger du tirage au sort.
Les vrais patriotes français sont fiers de leur pays, la France !
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https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20201014-macron.html
https://www.agoravox.fr/actualites/sante/article/emmanuel-macron-et-l-electrochoc-227802
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